Décembre 2015 /249

La transplantation tout un art

50 ans de greffe rénale au CHU de Liège

Transplantation3Le 1e juillet 1965, le Pr Georges Lejeune réalisait la première greffe rénale en région liégeoise. Un demi-siècle plus tard, l’équipe de transplantation du CHU a effectué plus de 1200 greffes de rein et sauvé bon nombre de vies. Que de chemin parcouru... À l’occasion de ce 50e anniversaire, Michel Meurisse, chef du service de chirurgie abdominale et de transplantation du CHU, professeur à la faculté de Médecine, revient sur l’expérience liégeoise.

L’intérêt pour la greffe d’organes éclot en Belgique dès le début des années 60. Dans la ligne des États-Unis, de la France et de leurs chirurgiens pionniers, il s’impose en région liégeoise sous l’impulsion de Georges Lejeune. En 1959, l’éminent professeur organise à l’ULg un congrès international portant sur les problèmes de rejet. Ce séminaire marque le début de l’épopée liégeoise dans la course aux greffons salvateurs. Face aux possibilités promises par cette nouvelle alternative thérapeutique, des programmes de transplantation se développent progressivement et les premières greffes rénales, puis hépatiques, sont réalisées.

En 1965, Georges Lejeune franchit le pas. Il réalise la première transplantation rénale liégeoise à partir d’un donneur cadavérique. Trois ans plus tard, il réitère l’expérience à partir d’un donneur vivant apparenté. L’opération connaît un franc succès puisque le rein greffé fonctionnait encore 40 ans plus tard. Si les résultats sont réjouissants, ils n’en demeurent pas moins, à cette époque, exceptionnels. En cause, les rejets qui restent un des principaux freins à la réussite.

UNE ÉVOLUTION FULGURANTE

Transplantation1À l’aube des années 80, de nouvelles perspectives se dessinent grâce à la mise au point de nouveaux traitements immunosuppresseurs et une meilleure connaissance de l’immunologie de transplantation. La diminution du risque de rejets aigus permet de relancer les activités de transplantation. Après divers ajustements, les résultats postopératoires s’avèrent de plus en plus satisfaisants. La greffe d’organes, initialement considérée comme une technique expérimentale, devient alors un traitement plus établi et mieux maîtrisé avec un taux de réussite élevé.

En 1984, le Pr Michel Meurisse réalise la première greffe combinée rein-pancréas. Aujourd’hui considéré comme une des figures majeures de la transplantation rénale et pancréatique en région liégeoise, il a pris part aux différents changements qui ont façonné la problématique de la greffe.

Si, selon lui, l’acte chirurgical a fondamentalement peu changé au cours de ces 50 dernières années, la politique de prélèvement des organes et la logistique qui l’accompagne ont, quant à elles, fait un réel bond en avant. Et d’expliquer : « Lorsque j’ai commencé aux côtés du Pr Lejeune, nous réalisions une dizaine de greffes de rein par an. Aujourd’hui, nous nous situons aux alentours de 50 et l’espérance moyenne de vie avec le greffon se situe à dix ans (60% pour un donneur cadavérique et 80% pour un donneur vivant). Parfois plus, parfois moins. Au niveau européen, nous nous situons en deuxième position en termes de taux de prélèvements d’organes par million d’habitants, l’Espagne occupant la première place. Toutes ces évolutions notables sont dues à plusieurs facteurs qui ont révolutionné la transplantation : la découverte des médicaments antirejet, une politique accrue d’information pour le don d’organes, l’étendue de l’âge et de l’état clinique des donneurs et, surtout, l’organisation de la coordination du prélèvement des organes. »

COORDINATEUR DE TRANSPLANTATION, UN RÔLE CENTRAL

Transplantation2L’apparition du métier de coordinateur de transplantation figure en effet parmi les évolutions positives majeures. Véritable plaque tournante de la greffe, le coordinateur a pour mission d’organiser et de synchroniser les échanges entre les différents intervenants et les instances impliquées. Il est également chargé des contacts avec le réseau Eurotransplant, responsable de l’allocation des organes. Depuis sa création en 1967, cet organisme a permis aux huit pays partenaires d’élargir leur pool de donneurs et de receveurs au-delà de leur territoire et donc de multiplier les chances de compatibilité.

Marie-Hélène Delbouille, coordinatrice de transplantation depuis 1988 au CHU, relève quotidiennement ce défi avec ses deux collègues : « Lorsqu’un patient a été déclaré en état de mort cérébrale ou en arrêt cardiaque, nous évaluons les organes en collaboration avec les équipes des soins intensifs, organisons les prélèvements et gérons la communication avec Eurotransplant afin de trouver des correspondances pour les greffer très rapidement. La procédure est complexe. Elle couvre toute l’organisation médicale à petite et grande échelle, c’est-à-dire la collecte d’informations relative au receveur, les contacts avec les différents centres, l’acheminement des organes et enfin le rappel des infirmiers, des chirurgiens et anesthésistes pour procéder à l’opération. On ne peut pas perdre de temps. Il s’agit véritablement d’un travail d’équipe, impliquant de nombreux intervenants. »

LES DONNEURS À COEUR ARRÊTÉ

Si le CHU figure parmi les bons élèves et peut se targuer d’une telle réputation, c’est aussi grâce à la dynamique universitaire insufflée. En effet, comme le souligne Michel Meurisse, « certaines structures hospitalières ne cultivent pas la même politique accrue d’information et de prélèvement d’organes que dans un hôpital universitaire. Le CHU explore tout ce qui est médicalement possible pour recruter davantage d’organes. C’est la raison pour laquelle la durée sur liste d’attente est relativement courte. Pour un rein, elle est approximativement de 18 mois. » Le CHU de Liège a, par exemple, été un des premiers centres belges à organiser le prélèvement d’organes sur des donneurs dits “à coeur arrêté”, c’est-à-dire des personnes présentant un dégât cérébral majeur mais ne remplissent pas les critères stricts de la mort cérébrale et pour lesquelles les thérapeutiques sont inefficaces. « Au lieu de procéder à l’arrêt du traitement aux soins intensifs, on le fait au bloc opératoire pour prélever le foie, les reins et éventuellement les poumons », explique Marie-Hélène Delbouille. Et Michel Meurisse de poursuivre : « Cette nouvelle frange de donneurs potentiels nous a permis d’augmenter de 33% le nombre de greffes par an. »

Enfin, le CHU et l’ULg ont noué de nombreuses collaborations avec des pays émergents pour un transfert d’expertises ou l’attribution de bourses d’études. Un jeune chirurgien vietnamien est notamment venu à Liège afin de mener des recherches sur les donneurs à coeur arrêté. Il a également effectué un doctorat à l’ULg et y a défendu sa thèse avec brio. Fort de l’expérience liégeoise, il est retourné à Ho Chi Minh-Ville pour y dynamiser un centre de transplantations sur base des standards occidentaux.

Si des pas de géant ont été franchis depuis 1965, la route est cependant encore longue. Le nombre de patients en attente d’une greffe reste toujours nettement supérieur au nombre de patients greffés. D’où l’importance de persévérer dans la voie de l’information sur le don d’organes, parce qu’on peut tous aussi être receveurs, un jour… En outre, « une des plus grandes aspirations serait d’induire une tolérance aux organes transplantés qui dispenserait du recours aux médicaments immunosuppresseurs, affirme Michel Meurisse. La transplantation, c’est du funambulisme en permanence entre bénéfices et effets secondaires. »

Entre 2000 et 2014, les équipes du CHU de Liège ont ainsi effectué :

  • 147 transplantations de coeur
  • 467 transplantations de foie
  • 670 transplantations de rein
  • 50 transplantations de pancréas

Voir l’émission “à votre tour d’y voir“ sur www.ulg.tv/AVTV04

Marjorie Ranieri
Photos : Yves Gabriel
|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants