Décembre 2015 /249

Attentats de Paris

Le sens de la mesure

Il y eut un monde “avant” et un monde “après” le 11 septembre 2001. Il en ira vraisemblablement de même avec le 13 novembre 2015. Pour dessiner ce monde, il semble indispensable de se poser les bonnes questions. De manière classique, après la survenance d’un crime grave, un schéma explicatif s’accapare l’avant-scène en pointant la faillite du système de contrôle censé l’empêcher : “Mais comment donc, les services de renseignement, la police ou la justice n’ont-ils pas vu ce qui se tramait ?”. Tout légitime et potentiellement utile qu’il soit, notamment pour améliorer ledit système, ce questionnement réduit cependant l’explication des faits à ces possibles “flops”, occultant d’autres pans de la réflexion. La désignation, par un chef d’Etat, d’un pays comme la base arrière de ces attentas parisiens peut s’apparenter à une volonté d’expliquer que le dysfonctionnement qui sera forcément interrogé vient d’ailleurs. Estampiller une commune comme “nid de djihadistes, dans lequel ce qui fonctionne ailleurs ne marche pas” est peut-être une tentative maladroite destinée à sauvegarder l’image générale d’un pays, mais elle décuple la stigmatisation de certaines populations, alors qu’on la sait contributive au problème. Sans compter que ce petit jeu fait presque en sorte d’éclipser le fait que les responsables de ces actes ne sont autres que les terroristes eux-mêmes (et personne d’autre) et non ceux qui doivent les surveiller.

DantinneMichaelLes “vraies” questions sont bien plus complexes. Même si c’est inconfortable, elles n’ont de réponses ni simples ni péremptoires. Les modèles théoriques tentant d’expliquer la radicalisation la décrivent comme un processus, fait d’étapes dans la durée, s’enracinant dans la fécondité d’un “terrain” personnel et d’un “bouillon de culture” sociétal. De la géopolitique à la gestion des quartiers, du rôle du religieux et de ses communautés au sentiment d’être surnuméraire, des griefs par rapport à la situation vécue à l’attribution de la responsabilité de celle-ci à un ennemi qui est la société où elle prend place, du sentiment d’être étranger à son propre sérail à une renaissance fondamentaliste : tous ces facteurs jouent un rôle. La récurrence, dans les attentats survenus à Paris depuis janvier 2015, de l’implication d’auteurs unis par des liens, familiaux, d’amitié, “de coin de rue”, et présentant souvent des parcours typiques de délinquance ado(adu)lescente, illustre cette complexité et doit donner à réfléchir.

Le renforcement des contrôles aux frontières, l’extension des moyens humains, juridiques et techniques des services chargés de la lutte contre le terrorisme, l’incarcération des returnees et le placement des individus “fichés” pour radicalisme sous surveillance électronique, soit quelques-unes des mesures annoncées par les autorités belges, amélioreront peut-être la sécurité objective et/ou l’insécurité subjective des citoyens. Si l’on ne peut que soutenir toute initiative ambitionnant d’éviter les attentats, ces mesures interpellent néanmoins notamment quant à leur réelle praticabilité et leurs effets possibles/probables, au-delà du court terme. Que va-t-on faire, par exemple, pendant leur détention, avec les returnees ? Que va-t-il advenir lorsqu’ils seront remis en liberté ? Surtout, il ne faudrait pas que, procédant de l’idée d’un système défaillant ces mesures – puisque destinées à le renforcer – se suffisent à ellesmêmes.Même s’il s’agit d’un effort dont le long terme cadre mal avec le temps médiatico-politique actuel, un travail, en parallèle et en amont, sur les racines du problème est indispensable car il reste moins ardu de prévenir une radicalisation que d’entreprendre une hypothétique “déradicalisation” ou d’incapaciter les auteurs prêts à l’action. Au-delà de l’émotion et de l’urgence, le temps est donc à l’analyse et à l’action coordonnées, au-delà des clivages idéologiques et des desseins électoralistes, avec l’unique objectif de minimiser le risque de revivre ce type d’événements.

Pr Michaël Dantinne (1er décembre)
service de criminologie en faculté de Droit, Science politique et Criminologie

Photo : J.-L. Wertz
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