Décembre 2015 /249

Jean-Louis Jadoulle

Où en est la "culture historique” des élèves?

Comme l’ensemble des disciplines scolaires en Wallonie et à Bruxelles, l’histoire enseignée dans le secondaire a connu, au début des années 2000, une réforme orientée vers le développement de compétences. Avec des accents différents selon les réseaux d’enseignement, cette réforme a pris un tour particulier en histoire, et ce suite aux choix opérés par les concepteurs du programme de l’enseignement catholique puis des membres de la commission inter-réseaux des outils d’évaluation en histoire. Ces choix consistaient à ancrer l’énoncé des compétences dans un cadre théorique particulier : la pédagogie de l’intégration.

JadoulleJeanLouisC’est peut-être ce qui explique que, dès avant la mise en application en 2001 des nouveaux programmes, les enseignants aient été nombreux, plus que dans d’autres disciplines scolaires, à en ressentir la nouveauté et à s’en inquiéter. Parmi les sources d’inquiétude, il faut souligner la crainte que l’enseignement des compétences ne se fasse au détriment de l’apprentissage des savoirs et, notamment, de la “culture historique” des élèves. Cette crainte rejoint les perceptions de nombreux acteurs ou observateurs plus ou moins éclairés du système éducatif, convaincus que l’accent mis sur les compétences allait amener une déperdition de savoirs.

Afin de comprendre et d’accompagner cette réforme, le service de didactique de l’histoire de l’ULg a mis en place différents dispositifs de recherche. Un colloque scientifique s’est notamment tenu à l’ULg le 10 novembre, intitulé : “La culture historique des jeunes, 15 ans après le choix des compétences. état des lieux et éléments pour comprendre le rôle de l’école dans la transmission culturelle”*.

La recherche transversale conduite par le service de didactique de l’histoire de l’ULg** a permis d’estimer le niveau de maîtrise de cette “culture historique” : en 2002 comme en 2009, il se situe entre 41 et 52% selon que l’on se base sur l’un ou l’autre des deux questionnaires élaborés par les chercheurs, dans une démarche collaborative avec des enseignants. En l’absence de données relatives au niveau de maîtrise au sein de la population adulte, en Belgique francophone, il est difficile de qualifier ce score moyen. Il masque, en outre, des écarts importants selon le type d’objets culturels et le type de tâches soumises aux élèves. Ce score moyen n’est globalement pas sensible à l’indice socio-économique des établissements des élèves : signe, peut-être que la “culture scolaire” est moins qu’autrefois le reflet des “classes dominantes” ?

Cette recherche a surtout permis de montrer que, de 2002 à 2009, soit durant les sept premières années d’introduction des nouveaux curricula, les connaissances culturelles des élèves sont restées très stables : l’implémentation de l’“approche par compétences” n’est donc pas allée de pair avec une déperdition sur le plan de la culture historique, telle qu’elle a été appréciée à l’aide des instruments de recueil de données.

Ce résultat peut être rapproché d’une autre recherche que nous avons réalisée et qui tend à montrer que les pratiques des enseignants d’histoire restent très majoritairement orientées vers l’apprentissage de connaissances. Cet état de fait est entièrement conforme à ce qu’est une compétence, à savoir la capacité à mobiliser, dans des situations complexes mais familières, des connaissances préalablement apprises. Le fait que les professeurs demeurent centrés sur l’enseignement de ces connaissances ne manifeste donc pas un rejet des compétences, l’exercice de celles-ci ne constituant que le “dernier étage de la fusée” et ne devant pas occuper l’essentiel du temps d’apprentissage, loin de là. La plupart des connaissances enseignées par les professeurs correspondent aux objets à enseigner qui étaient de mise et qui demeurent toujours d’actualité dans les programmes actuels. Il faut en effet souligner que les nouveaux programmes diffusés à partir de 2000 ont reconduit l’énoncé des objets de savoir qu’il convenait, auparavant, d’enseigner. Et la préoccupation première des enseignants demeurede les faire apprendre. Les compétences n’ont donc pas modifié fondamentalement leur perception de leur mandat. La question demeure néanmoins d’apprécier dans quelle mesure l’enseignement de ces connaissances est coloré par le projet de les évaluer en situation de mobilisation ; ou dans quelle mesure ces situations sont intégrées de manière cohérente par rapport aux connaissances enseignées.

Par ailleurs, les résultats aux évaluations externes en vigueur depuis 2010 attestent que, tandis que les connaissances culturelles demeurent stables, les élèves ont développé la maîtrise des compétences prescrites. Il semblerait donc qu’il n’y ait pas de concurrence entre les compétences et les connaissances. Une recherche exploratoire réalisée au sein du service de didactique de l’histoire semble même indiquer que les élèves qui maîtrisent les compétences vs ne les maîtrisent pas seraient aussi ceux qui mobilisent vs ne mobilisent pas des connaissances correctes et pertinentes et donc ont acquis ces connaissances.

Jean-Louis Jadoulle
chargé de cours en didactique de l’histoire

* Organisé par le groupe de contact FNRS “Didactique et média ion des savoirs historiques”.

** Xavier Stevens et Jean-Louis Jadoulle, http://hdl.handle.net/2268/188284

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