Décembre 2015 /249

Ceci est une anthologie

Les textes surréalistes belges à la portée de tous

S’il y a un mot qui revient périodiquement dans le langage des médias en Belgique, c’est bien celui de “surréalisme”. Et c’est vrai que notre pays, à maints égards, plus souvent qu’à son tour, ne manque pas de surprendre. Guillaume Apollinaire a certes inventé le terme en 1917 – dans sa pièce de théâtre Les mamelles de Tirésias – avec le sens d’idée ou de situation saugrenue, mais “ce sont eux [les Belges] qui l’ont inventé ou presque”. Tel est en tout cas l’avis de l’écrivain britannique Jonathan Coe, dans son roman Expo 581.

CLÉS DE LECTURE

AnthologieSurrealisteCette affirmation, reprise ici partiellement, sert d’épigraphe à l’Anthologie du surréalisme belge2 de Paul Aron et Jean-Pierre Bertrand. Ces professeurs, qui enseignent tous deux la littérature française, respectivement à l’ULB et à l’ULg, y proposent aux lecteurs des textes complets, et non des extraits, des poètes du mouvement surréaliste belge : textes poétiques en priorité, mais aussi aphorismes et écrits à vocation théorique, voire polémique. Les uns et les autres sont précédés d’un rappel de la trajectoire littéraire de leur auteur, ainsi que du contexte où celui-ci a composé son oeuvre. Le volume se clôt par une abondante bibliographie, précédée d’une chronologie, non moins utile, allant de 1924 à 1983.

« Offrir des clés de lecture a été pour nous un souci prioritaire, souligne Jean-Pierre Bertrand, professeur au département de langues et littératures romanes, car cette anthologie a évidemment une vocation pédagogique. Quand je fais un cours sur le surréalisme, ça marche du tonnerre. Les étudiants aiment par-dessus tout le côté ludique, insurrectionnel aussi, des surréalistes qui ont voulu à leur manière changer le monde, y instillant cette part de rêve qui manque tellement à nos sociétés formatées. Et comme chez eux se côtoient poètes, peintres et musiciens, ce décloisonnement présente pas mal d’attraits. » Sans parler de l’humour, cette échappatoire capitale pour des créateurs voulant s’affranchir de la morosité des normes et de l’ennui de la bienséance bourgeoise.

Louis Scutenaire, auteur des Inscriptions, est particulièrement représentatif de cette veine qui allie spontanéité, passion des mots et irrespect des institutions. Son ami René Magritte l’est tout autant, pour qui les peintures sont des pensées et « le mystère [...] ce qui est nécessaire absolument pour qu’il y ait du réel ». Paul Nougé, poète souvent hermétique, est resté le chef incontesté du groupe surréaliste bruxellois, tandis qu’Achille Chavée, militant communiste, a été son homologue dans le Hainaut. « Bien d’autres figures du surréalisme belge sont présentes dans l’anthologie, soit 20 au total, précise le Pr Jean-Pierre Bertrand. En guise d’ouverture du recueil, nous avons d’ailleurs tenu à donner la parole au compositeur et interprète André Souris, qui est le premier à avoir livré ses souvenirs. Marcel Mariën pour sa part, tout en récusant l’idée de faire une carrière littéraire, nous a laissé une somme qui continue de faire autorité : L’Activité surréaliste en Belgique, 1924-1950. »

AUTODÉRISION

On peut évidemment se demander s’il existe une différence substantielle entre le mouvement français initié en 1924 par le Manifeste du surréalisme d’André Breton et celui qui, tout en étant moins structuré, s’est exprimé en Belgique. « Chez nous, répond le Pr Bertrand, l’autodérision est souvent présente tandis que, chez nos voisins, elle est quasi totalement absente, du moins chez le chef de fil André Breton. À quoi il convient d’ajouter un refus du dogmatisme, ainsi que de l’écriture automatique. Par contre, la musique et le roman ont droit de cité, alors que l’une et l’autre sont ostracisés par Breton. Autrement dit, les surréalistes belges, qui sont loin de constituer une école homogène, paraissent moins se prendre au sérieux. »

Une preuve de cet état d’esprit ? « Le mot “surréalisme” ne signifie rien pour moi », déclarait Magritte, tandis que son ami Nougé acceptait l’étiquette « pour les commodités de la conversation ». En reprenant en quatrième de couverture ces réflexions de deux icônes du mouvement surréaliste belge, l’anthologie donne le ton de la fantaisie constante qui se dégage de ses textes.

1 Jonathan Coe, Expo 58, Gallimard, coll. Folio, Paris, 2014, p.80.
2 Anthologie du surréalisme belge, établie par Paul Aron et Jean-Pierre Bertrand, Espace Nord, coll. Références, Bruxelles, 2015.

Henri Deleersnijder
Illustration : Fabian Vargas Garcia - 2e pub-ACA-Sup Liège
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