Janvier 2016 /250

Carte blanche à Pierre Ozer

Ou quand les pays développés montrent la voie

Le 29 novembre 2015, quelques centaines d’étudiants de l’ULg devaient se rendre à Paris pour faire entendre la voix de la société civile à la veille de la 21e Conférence des parties (pays) sur le climat (COP21). Les attentats du vendredi 13 novembre en auront décidé autrement. La marche pour le climat sera successivement annulée à Paris, puis à Bruxelles, puis à Ostende… En réalité, les seuls endroits où les rassemblements de personnes seront autorisés le 29 novembre sont les grands centres commerciaux du pays aux enseignes internationales, protégés par les forces de l’ordre armées jusqu’aux dents.

De l’ambiance générale du début de cette COP21, on retiendra quatre éléments majeurs : les multiples états d’urgences planétaires, l’année 2015 annoncée comme la plus chaude jamais enregistrée au niveau du globe, des émissions de gaz à effet de serre (GES) toujours plus élevées (+60% de CO2 émis dans l’atmosphère entre 1990 et 2014) et le prix du baril de pétrole à 35 dollars, au plus bas depuis une dizaine d’années.

Deux grandes nouveautés sont à l’ordre du jour : la première réside dans le fait que (presque) toutes les parties se sont engagées à communiquer des objectifs nationaux de réduction de GES pour les dix à quinze années à venir. Cela représente une gigantesque avancée dans la perspective d’un grand accord global. Le seul souci est que l’addition de ces engagements place le réchauffement climatique sur une trajectoire de +3°C par rapport aux températures préindustrielles. Or l’objectif annoncé de la COP21 est de contenir cette élévation des températures à +2°C d’ici 2100… L’engagement de sociétés transnationales représente la deuxième nouveauté, assez déconcertante cette fois. Ainsi, le secteur aérien ultra émetteur de CO2 (Air France), la grande distribution proposant des produits low-cost provenant des pays les moins regardants aux normes sociales et environnementales (Carrefour) ou encore de la publicité qui promeut la surconsommation de produits issus essentiellement de multinationales (JC Decaux) ont payé pour obtenir le label de “partenaire officiel de la COP21”. Du greenwashing en puissance, donc.

Dès la journée d’ouverture, les discours des dirigeants politiques de ce monde se succèdent à Paris. Sans surprise, les grands posent leurs conditions préalables à tout accord. Barak Obama exhorte le monde à « être à la hauteur des enjeux que pose le réchauffement inédit de la planète » tout en proposant une diminution des émissions américaines de GES de 26 à 28% d’ici 2025 par rapport à 2005 (soit de 13% par rapport à 1990) et en refusant tout accord juridiquement contraignant. La Chine annonce un effort de réduction de 60 à 65% de ses émissions de GES par unité de PIB d’ici 2030 par rapport à 2005 et entend atteindre son pic d’émissions de GES le plus tôt possible, au pire vers 2030. L’Union européenne s’engage à réduire les émissions de GES de 40% en 2030 par rapport à 1990 tout en exigeant un accord juridiquement contraignant. Le G77, les pays en développement et émergents, exige des moyens financiers (minimum 100 milliards de dollars par an dès 2020) pour s’adapter aux effets néfastes des changements climatiques et réclame des mesures pour que l’élévation globale des températures soit contenue à +1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels. Quant aux principaux pays producteurs de pétrole, ils ne s’engagent à rien, sinon à clamer haut et fort que leurs économies ne doivent pas être victimes des diminutions des consommations des énergies fossiles. Bref, peu ou prou, les mêmes positions inconciliables que celles qui étaient sur la table des négociations à Copenhague lors de la COP15 en 2009.

À ce moment, nous sommes très nombreux à nous dire que cette COP21 sera un nouvel échec.

Douze jours plus tard, et contre toute attente, les 195 parties adoptent l’Accord de Paris. Qualifié à l’unisson comme étant “historique”, l’Accord « vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques […] en contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C »; il renforce « les capacités d’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques » et rend « les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de GES et résilient aux changements climatiques ».

Ainsi, la vision – très ambitieuse car contenant les désidérata de tous – est tracée. Il reste à mettre en place les moyens pour la concrétiser. Ce sera pour la suite.

Et ce ne sera pas simple car les émissions de GES nationales dont il est question sont calculées sur base territoriale, ne tenant donc pas compte des échanges. Ainsi, si la Belgique a bien diminué ses émissions territoriales de CO2 de 8,5% entre 1990 et 2010, elles ont en réalité augmenté de 27% en tenant compte des échanges de plus en plus importants résultant notamment des délocalisations d’entreprises polluantes. Ces échanges étant rendus possibles par les transports internationaux maritime et aérien, on s’étonne de ne pas voir ces secteurs concernés par ledit Accord. Par ailleurs, notons dans l’Accord que « les parties reconnaissent que des modes de vie durables et des modes durables de consommation et de production, les pays développés montrant la voie, jouent un rôle important pour faire face aux changements climatiques ». OzerPierreCette phrase est lourde de sens. En effet, si, orientés par la publicité (JC Decaux), nous continuons à consommer de manière durable (Carrefour), à prendre l’avion à toute occasion (Air France), on peut se demander comment on marquera l’essai. Puisque les 10% les plus riches de la planète sont responsables de la moitié des émissions globales de GES.

Pendant ce temps, mes rosiers sont en fleurs, en janvier…

Pierre Ozer
chargé de recherche au département des sciences et gestion de l’environnement

Photos : J.-L. Wertz
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