Janvier 2016 /250

L'orthographe en questions

Bescherelle ton Alma mater

On les qualifie, ou ils se qualifient eux-mêmes de “grammar nazis”. Dans le fatras des milliers de phrases publiées par les étudiants sur les réseaux sociaux, et donc principalement sur Facebook, des puristes s’évertuent à corriger quelques-unes des nombreuses fautes d’orthographe semées à tout vent par leurs congénères. Mais, naturellement, le jeu de ces “trolls” consiste aussi généralement à s’en défendre : « Je ne suis pas une grammar nazi mais si quelqu’un me parle avec de grosses fautes, j’ai une réaction de rejet », clame une anonyme sur la page “ULg Confessions” (25 500 fans tout de même !) où les étudiants se laissent aller incognito à des confidences adoptant plutôt la tournure de brèves de comptoir.

Sont-ils des exceptions? En effet, il n’est pas nécessaire d’être doctorant pour subodorer que la rigueur des normes écrites de la langue ne fait plus partie des préoccupations essentielles des générations Y et Z. « J’ai toujours été très mauvais dans ce domaine. Mais ce n’est pas très grave puisqu’en physique, on écrit très peu », assène Xavier, étudiant en physique. Corentin, qui commence le master d’ingénieur civil mécanicien, relativise : « Pour nos profs, c’est le contenu qui compte. Moins la forme ! D’autant qu’il y a aussi des étudiants étrangers qui maîtrisent moins notre langue. Le gros test de français, en première année, est purement informatif même si des cours gratuits de remédiation sont proposés. » N’oublions pas non plus les cours donnés en anglais, qui se multiplient. Et puis les correcteurs orthographiques automatiques, intégrés un peu partout, qui incitent à la paresse.

NOUVELLE ORTHOGRAPHE

S’il est clair pour lui que la maîtrise de l’orthographe ne va pas en s’améliorant, le Pr Marc Thiry, qui enseigne le cours de biologie à la faculté des Sciences, précise qu’au-delà du test d’orthographe, la pléthore de vocabulaire scientifique, dans son domaine, pousse à inculquer de bonnes bases étymologiques aux étudiants. Corollairement, la connaissance de racines grecques et latines communes à plusieurs termes les aide indéniablement pour comprendre la signification et la façon correcte d’écrire les mots du langage courant. « Mais cela fait longtemps que je ne corrige plus l’orthographe des examens ou de certains travaux, soupire l’enseignant. C’est parfois tellement catastrophique que je dois lire à haute voix ce qui est écrit en phonétique. Un exemple ? J’ai découvert un “nez en moins” pour “néanmoins”… »

Depuis l’arrivée des GSM et l’avènement du langage des abréviations hasardeuses par sms, d’aucuns, indulgents, voudraient accueillir ces barbarismes comme une évolution probable et nécessaire de la langue français, brandissant abusivement comme étendard la “nouvelle orthographe”, fantasmée et mal connue (bien qu’officielle depuis 2008, et intégrée à la plupart des correcteurs orthographiques récents). Jean-Marie Klinkenberg, professeur émérite en sciences du langage et président du conseil de la politique linguistique en Fédération Wallonie-Bruxelles, est une référence pour ce qui a trait à cette fameuse orthographe. « Je ne crois pas que les sms puissent contaminer une dissertation, estime-t-il. Tout usager sait qu’il y a plusieurs “marchés linguistiques” et module ses pratiques en fonction de ses interlocuteurs : on ne s’adresse pas de la même manière à un prof ou à un copain. Ainsi, une étude réalisée dans les années 90 a montré que les élèves faisaient nettement moins de fautes dans le cadre d’un cours de français que pour un travail de math. » Il reste que, sur les 20 dernières années, on observe bien un recul – mais pas catastrophique – des compétences orthographiques, lesquelles étaient stables depuis 160 ans. Pour le Pr Klinkenberg, il serait peut-être utile de lisser encore les nombreuses irrégularités de notre écriture comme dans les participes passés, qui se compliquent encore lorsque l’on touche aux verbes pronominaux.

FREIN À L’EMPLOI ?

Certains académiques de notre Alma mater, tel Livio Belloi au département des arts et sciences de la communication, ont choisi de rester sur le chemin de l’intransigeance. Notamment pour ce qui est des mémoires : « Je trouve que c’est un respect élémentaire que l’on doit à son lecteur. » Pour son collègue, Marc Vanesse, une bonne orthographe reste la pierre angulaire : « Plusieurs études montrent que des carences en la matière impliquent souvent de mauvais résultats dans d’autres disciplines. On va manquer de logique, de vocabulaire. C’est également un marqueur social ! Et puis les fautes peuvent altérer le sens de la phrase et rendre son expression confuse. Par ailleurs, envoyer un CV truffé de fautes d’orthographe me semble peu recommandé. »

Cette opinion est partagée au-delà de la faculté de Philosophie et Lettres. Marie-Noëlle Hindryckx, chargée de cours pour l’agrégation de l’enseignement secondaire supérieur en sciences biologiques, ne veut pas laisser croire que la faculté des Sciences est laxiste en la matière. Même si la forme ne semble plus faire partie des codes et que la distance entre le professeur et l’étudiant a rétréci au bénéfice des échanges et des évolutions, « nous insistons sur ce point et conseillons des pistes de remédiation. Et si l’on constate des fautes au tableau lors des stages ou plus de deux ou trois erreurs orthographiques par page dans un rapport, on refuse le travail. »

Qu’en est-il du côté des employeurs ? « Il y a certes des fonctions pour lesquelles l’orthographe est déterminante telles que juriste, assistant de direction, marketing, professeur, journaliste, relation clientèle, etc. Mais pour d’autres postes, elle l’est moins », affirme Maxime Deremince, directeur Wallonie-Bruxelles de l’agence d’intérim Daoust. Au Selor, organisme fédéral chargé du recrutement du personnel de la fonction publique, les tests d’orthographe ne font pas partie de la sélection de base des candidats. Mais les offres d’emploi, elles, sont rédigées sans fautes. Rassurant !

Fabrice Terlonge
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