Janvier 2016 /250

Radouane Attiya

Plaidoyer pour un islam moderne, compatible avec les valeurs démocratiques

En 2013, le ministre Jean-Claude Marcourt – à l’initiative du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme coprésidé par le Pr édouard Delruelle de l’ULg – lançait une réflexion en vue de favoriser un “islam de Belgique”, soit un islam ancré dans un contexte social, culturel, linguistique en phase avec les valeurs de la démocratie. Un premier rapport fut remis par le Centre d’études de l’ethnicité et des migrations (Cedem-ULg) qui contribua à la mise en place, en mars 2015, d’une “Commission chargée de faire des propositions en vue d’un islam de Belgique”.
Présidée par les Prs Andrea Rea (ULB) et Françoise Tulkens (UCL), la Commission a remis son rapport au ministre au début du mois de décembre dernier. Radouane Attiya, assistant chercheur au département des sciences de l’Antiquité (langue arabe et études islamiques) de l’ULg, était l’un des rapporteurs de cette Commission.

Le 15e jour du mois : Le rapport souligne l’impératif besoin de former les imams et professeurs de religion islamique. Quelles sont les fonctions d’un imam ?

AttiyaRadouaneRadouane Attiya : L’imanat est une fonction purement religieuse et spirituelle. Il faut bien comprendre cependant que la communauté musulmane est multiple et que, contrairement au système catholique, elle n’a pas de hiérarchie structurée. Dans le monde sunnite, qui rassemble 90% des musulmans, celui qui se sent capable de devenir imam est autorisé à endosser cette responsabilité. Dans les fait, ce sont exclusivement les hommes qui occupent ce poste de guide spirituel et social, assurent les actes rituels et veillent à la cohésion communautaire.
Attachés à une mosquée, les imams doivent garantir les cinq prières quotidiennes et le prêche du vendredi. Cette prédication est volontiers moralisante : l’imam rappelle les valeurs de l’islam et ses normes, souligne l’importance de la prière, du ramadan, du partage, etc. Sa prédication est de nature spirituelle ; elle tente d’élever les esprits et de conforter la foi.

Dans leur grande majorité, en Belgique, les imams sont des autodidactes, autoproclamés ou “élus” par une association sans qu’aucune formation spécifique ne soit requise : on désigne le plus apte, le plus érudit, le plus charismatique. D’autres sont jurisconsultes (une dizaine en Belgique peut-être) : ils ont suivi un cursus dans une “université islamique”, en Égypte ou en Tunisie par exemple, ou ont fréquenté une zaouïa, centre spirituel et social plus particulièrement dans les confréries soufies. Il s’agit d’une formation “classique” qui porte essentiellement sur les sources scripturaires de l’islam ainsi que sur l’exégèse des sources historiques secondaires. Existent encore, mais plus rarement, des imams ouvriers, des imams étudiants et des imams “saisonniers” invités pour des conférences ou des séminaires.

Au total, on compte en Belgique plus ou moins 650 imams – dont 85, seulement, sont “reconnus” – et exactement 581 professeurs de religion islamique en Fédération Wallonie-Bruxelles, guère plus diplômés sur les questions liées à la théologie et le fait religieux islamiques. Soulignons toutefois qu’une formation en didactique du cours de religion islamique a vu le jour, en cette année académique, au sein de l’UCL, en partenariat avec l’Exécutif des musulmans de Belgique (EMB).
L’indigence de la formation de la plupart de ces “cadres” a des conséquences néfastes : la connaissance lacunaire du référent islamique donne lieu à des interprétations “sauvages” des textes et fait le lit des propos fanatiques. 40 ans après la reconnaissance officielle de l’islam en Belgique, toutes les instances dirigeantes, partis politiques belges et EMB réunis, s’accordent sur la nécessité d’une formation de ces acteurs.

Le 15e jour du mois : L’éducation pour contrer le terrorisme ?

R.A. : Oui, très certainement mais aussi par le combat des idées sans pour autant élever autel contre autel. Gardons à l’esprit que ce terrorisme perpétré au nom de l’islam se nourrit essentiellement de l’islamisme politique engendré par l’instigateur de la confrérie des Frères musulmans, au siècle dernier. Cette dernière a su instrumentaliser le système éducatif, entre autres, afin de disséminer son idéologie au sein des classes moyennes et défavorisées. Dans d’autres contextes historiques et géographiques, l’éducation a aussi été synonyme de déclassement social, ce qui a parfois ouvert les voies du radicalisme islamique. Dans cette conjoncture, les voix musulmanes doivent s’élever pour affirmer que les valeurs de l’islam et ses normes ne peuvent se soustraire aux valeurs démocratiques, valeurs acquises de hautes et longues luttes. En d’autres termes, l’islam n’est pas au-dessus de la loi.
Nous sommes, certes, tous à la même enseigne dans cette “société de l’apprenance” (Philippe Carré). En ce sens, une formation des cadres musulmans dans notre pays constitue assurément une “intégration par le haut”. Elle offre aussi une structure, voire une hiérarchie à l’islam belge. Cette modernisation de l’islam permettra, j’en suis sûr, de domestiquer “l’ignorance institutionnalisée” (Mohammed Arkoun) qui gangrène l’islam militant dans le tissu associatif mais également le discours des autorités religieuses.
Aujourd’hui, le mot “islam” renvoie à la tragédie du 11 septembre 2001, à celle du musée juif de Bruxelles en 2014, à celle de Charlie Hebdo, de l’hyper cacher de la porte de Vincennes et aux attentats sanglants de Paris du 13 novembre 2015. Le terme est connoté de manière extrêmement négative, ce qui ne facilite guère le quotidien des citoyens musulmans pourtant opposés farouchement aux actes terroristes.

Le 15e jour du mois : Que préconise le rapport ?

R.A. : Dans la continuité des rapports précédents – dont celui du Pr Jean-François Husson –, nous préconisons dans un premier temps la création d’un “Institut de promotion et de coordination des initiatives relatives aux formations sur l’islam”, véritable plateforme destinée à soutenir et à compléter les formations des imams, des professeurs de religion islamique, des acteurs socioculturels ainsi que des conseillers islamiques que sont les visiteurs de prisons, des hôpitaux, des IPPJ, etc. Mais j’insiste sur un point : l’État n’a pas la prétention à former les imams ! Le volet théologique doit être assuré par l’EMB mais tous les candidats, en voie de reconnaissance, devront recevoir une formation civique et parallèlement des cours de langue.
Le rapport recommande aussi la création d’une chaire interuniversitaire d’islamologie pratique afin de contribuer à une analyse critique de la pensée arabo-musulmane dans ses dimensions historiques et contemporaines. À moyen terme, il suggère également d’élaborer un master en théologie islamique car cette filière participera à la constitution d’une intelligentsia musulmane, laquelle pourra pleinement s’affirmer dans les débats de société. Enfin, le rapport conseille aussi que, sur les ondes de la RTBF, une émission à vocation  musulmane soit concédée, une émission accessible à tous et, dès lors, en français.
L’islam en Europe est une chance pour dresser les contours d’un islam moderne capable – en respectant la laïcité et les autres traditions religieuses – de travailler au “vivre-ensemble” générateur de paix.

* le rapport de la “Commission islam de Belgique” à l’adresse http://bit.ly/1ItLxWz

Propos recueillis par Patricia Janssens
Photos : J.-L. Wertz
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