Mars 2016 /252

Lutte ouvrière féminine

Marcella Colle et le Pr Annie Cornet évoquent la grève des ouvrières de la FN, en 1966.

En 1966, 3550 ouvrières paralysent la FN lors d’une grève mémorable de 12 semaines. 50 ans plus tard, de nombreuses manifestations commémorent cet événement, symbole de la lutte ouvrière féminine. Parmi elles, un colloque intitulé “Les ouvrières de la FN changent l’histoire. 1966-2016”. Marcella Colle, présidente des Amis du Musée herstalien (licence en histoire, 1958), et le Pr Annie Cornet, membre du comité scientifique de l’exposition, répondent à nos questions.

Le 15e jour du mois : Quelles étaient les conditions de travail des ouvrières de la FN en 1966 ?

ColleMarcelaMarcella Colle : Les “femmes machines”, comme on les appelait, occupaient le bas de l’échelle et travaillaient dans des conditions abominables : chaleur, bruit incessant des machines, odeur d’huile, cadence, pression. Pour s’assurer de leur rentabilité, elles étaient même surveillées et chronométrées. Il faut également pointer la vétusté des machines datant d’avant-guerre, le manque d’hygiène et l’absence de vêtements de protection.

Le 15e jour : Quelles étaient leurs revendications ?

M.C. : Leur slogan était “À travail égal, salaire égal”. Pour rappel, une convention de 1951 posait déjà le principe d’égalité de rémunération entre la maind’oeuvre masculine et féminine pour un travail de valeur égale. Le Traité de Rome de 1957 allait dans le même sens. Cependant, ces textes n’ont pas été mis en oeuvre et la direction de la FN se disait qu’elle les appliquerait quand elle y serait contrainte. Ensuite, la classification des fonctions faisait en sorte que ces règles soient tout simplement impossibles à mettre en pratique : sans égalité de fonction, aucune égalité de salaire autorisée. Les ouvrières n’avaient pas non plus de perspective et aucune chance de monter les échelons de l’entreprise. Exiger une équité des salaires, c’était aussi pour elles un moyen de revendiquer une reconnaissance. C’était déjà difficile de travailler dans ces conditions, mais être moins considérées que ceux qui font la même chose, c’était particulièrement blessant.

Le 15e jour : La grève a-t-elle eu des effets positifs ?

M.C. : Pas beaucoup. Si les conditions de travail s’amélioreront quelque peu, les femmes obtiendront moins de la moitié de l’augmentation salariale réclamée. Cela n’en reste pas moins un événement marquant, d’abord par son ampleur car il s’étendra à d’autres entreprises. Ensuite, parce que c’est la première fois que des ouvrières entament un mouvement de grève pour un objectif social uniquement féminin. Enfin, parce que ce qui au départ était une revendication salariale deviendra au fil du temps l’occasion de se questionner sur la place de la femme dans la société.

Exposition “Femmes en colère”

Jusqu’au 26 mars au Pré-Madame, rue John Moses Browning, 4040 Herstal.
Entrée libre. Informations sur le site www.femmesencolere.be

Visite guidée organisée par l’APULg, le samedi 19 mars à 10h.
Inscription par courriel v.miocque@ulg.ac.be

Le 15e jour du mois : L’équité salariale a-t-elle progressé en 2016 ?

CornetAnnieAnnie Cornet : Oui, les dernières études de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes* évaluent l’écart salarial à 10% en salaire horaire et de 22% en salaire annuel (tous secteurs confondus), écart qui s’explique par les emplois à temps partiel concernant 46% des femmes. Si les revendications de 1966 mettaient en lumière l’écart salarial, elles questionnaient surtout le positionnement des salaires des emplois féminins dans le système de classification des fonctions, un point qui n’a pas connu d’avancées significatives en Belgique, contrairement à la France et au Québec où il y a eu des processus de rattrapage et de reclassement des fonctions féminines.

Le 15e jour : Comment cela s’explique-t-il ?

A.C : Il y a bien sûr différentes raisons mais c’est par manque de volonté politique, patronale et syndicale, et donc par l’absence d’affectation de moyens. Il est clair que, dans un contexte de crise, prendre des mesures qui supposent de revaloriser les emplois majoritairement occupés par les femmes (de leur verser aussi une indemnité de rattrapage) n’est clairement pas à l’ordre du jour, même si cela reste un dossier que suit l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes depuis plusieurs années.

Le 15e jour : Si l’on peut s’attendre à une frilosité des entreprises, c’est plus étonnant de la part des syndicats. Est-ce à cause d’une sous-représentation des femmes dans ces instances ?

A.C. : S’il est clair que les femmes sont peu représentées dans les instances syndicales et notamment dans les organes décisionnels, ce n’est pas la seule explication. La question de l’égalité des femmes dans l’agenda syndical n’est pas une priorité : dans le contexte actuel, la préservation de l’emploi et le chômage des jeunes éclipsent tout le reste.

 * L’écart salarial entre femmes et hommes en Belgique, rapport 2014 : bit.ly/1Rk2zXR

 

Colloque “Les ouvrières de la FN changent l’histoire. 1966-2016”

Les 24 et 25 mars à La Cité Miroir, place Xavier Neujean, 4000 Liège

Informations sur le site www.carhop.be

 

 

Propos recueillis par Martha Regueiro
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