Mars 2016 /252

Féministe de terrain

Licenciée en philologie romane, Anne Délépine oeuvre au Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE)

Assurément, le parcours d’Anne Delépine sort quelque peu des sentiers battus, même si elle s’en défend. « À 18 ans, je me suis orientée vers la philologie romane, une formation générale qui permet d’avoir un regard critique sur une série de situations, de les analyser et de se forger un avis puis de l’exprimer correctement, se remémore-t-elle. En tout cas, je ne souhaitais pas embrasser une carrière dans l’enseignement, histoire de ne pas reproduire le schéma paternel… Nous sommes d’ailleurs une bonne poignée à nous être dirigés vers un secteur qui n’était pas celui auquel cette formation nous destinait et à choisir le secteur associatif. »

CONTRE L’EXCLUSION

DelepineAnneDe fait, à la sortie de l’Université, Anne Delépine, comme ses camarades de promotion, a bénéficié d’une des mesures de résorption du chômage initiée par le ministre de l’Emploi de l’époque, Guy Spitaels : les cadres spéciaux temporaires. « Cette formule a permis la professionalisation de bon nombre d’initiatives qui reposaient alors principalement sur le bénévolat, rappelle-t-elle. Le Collectif contre les violences familiales et l’exclusion (CVFE) est né peu avant cette époque, dans le sillage du mouvement féministe, à la fin des années 70, comme le “Café des femmes”, le “Collectif contraception” ou “Femmes contre la crise”. »

Si à ses débuts le CVFE s’est donné pour mission d’aider les femmes à échapper à la violence conjugale, son champ d’action est devenu aujourd’hui beaucoup plus vaste : « La violence n’est plus seulement familiale, note Anne Delépine, elle est aussi devenue sociale à cause d’un contexte économique peu favorable qui apporte son lot d’incertitudes. » C’est la raison pour laquelle le CVFE offre désormais de nombreux services : consultations, démarches relatives à l’insertion socioprofessionnelle ou encore éducation permanente. « Nous comptons aussi deux maisons d’hébergement pour femmes et enfants (avec 54 lits). Nous dispensons des formations et proposons des consultations juridiques et psychosociales. Nous gérons une ligne téléphonique gratuite*, en collaboration avec “Solidarité Femmes” de La Louvière et “Praxis”, qui se met à l’écoute des auteurs de violences », énumère-t-elle. Voici une année environ, le Collectif a également ouvert une crèche de 12 places, sous les auspices de l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE).

« Avec le temps, nous avons gagné en légitimité et sommes devenus un acteur important du secteur », reconnaît la directrice. Au point que ce sont désormais plus de 60 personnes qui travaillent pour le Collectif. Anne Delépine observe des avancées tangibles dans la lutte contre la violence conjugale : qu’il s’agisse de la reconnaissance de ce problème, de sa prise en charge et de l’arsenal législatif qui l’encadre, comme les dispositions prises au niveau fédéral à la suite de la “Tolérance zéro” appliquée par le parquet de Liège en 2004. « Même si on recense toujours quotidiennement plus de cas de violences faites aux femmes, cette évolution positive dans nos sociétés mérite d’être soulignée car elle va dans le bon sens, au même titre, notamment, que la considération pour les questions de genre », pointe-t-elle.

D’ailleurs, pour permettre aux femmes de s’affirmer dans l’espace public ou privé et se défendre, le Collectif organise des cours de seito boei, un art martial dont le nom d’origine japonaise signifie “légitime défense” mais qui est né en … Autriche dans les années 70. « Il s’agit de permettre aux femmes de riposter proportionnellement aux agressions dont elles font l’objet, et qui sont de toute nature, de l’arrachage d’un sac à main à l’insulte en passant par des attouchements. Nous leur apprenons des techniques mentales qui leur permettent de se défendre de manière instinctive pour que la soumission ne soit pas perçue comme une fatalité. »

AUX CÔTÉS  DES FEMMES

Au lendemain de la Journée internationale des droits des femmes du 8 mars, le CVFE reste donc aux côtés de toutes les femmes qui souffrent d’inégalités. « En Belgique, personne n’est obligé de le porter, répond Anne Delépine à propos du voile. Certaines affirment qu’il s’agit d’un choix, ce qui doit être respecté; en revanche, il ne faut pas que cela devienne une obligation. Les personnes qui se prostituent tiennent le même discours, celui du libre arbitre. Je reste convaincue que là derrière se cache une inégalité structurelle ou une infériorité contrainte, mais les personnes ne peuvent être stigmatisées ou privées de droits pour cela. »
Après toutes ces années investies dans la cause des personnes vulnérables, Anne Delépine dresse un bilan, certes intermédiaire : celui de n’avoir aucun regret quant à ses choix professionnels. Même si, à bien y réfléchir, « une licence en sociologie m’aurait a posteriori intéressée. Aujourd’hui, il existe des filières de formation plus variées – qu’on ne proposait pas à l’époque –, adaptées à l’économie sociale ou à la gestion d’une ONG ».

* Ligne gratuite de la Fédération Wallonie-Bruxelles, tél. 0800 30 030.

Pierre Demoitié
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