Mars 2016 /252

5 questions à Adrien Masset

Réforme pénale : le pot-pourri de la discorde

Une plus grande efficience pour une meilleure justice. C’est la promesse du plan Justice du ministre Koen Geens dont les deux premiers volets, “Pot-Pourri I” et “Pot-Pourri II”, ont déjà été adoptés. Quatre sont prévus au total. Derrière ce nom un tantinet déconcertant, un fil rouge : faire des économies. Mais cela ne va pas sans réticences. En effet, le “Pot-Pourri II” prévoit de réformer dans son ensemble le système pénal et en particulier la cour d’assises, vidée de ses attributions. Une mesure qui aura mis le feu aux poudres, d’aucuns allant jusqu’à y voir un “recul de civilisation”. Adrien Masset, avocat et professeur de droit pénal à l’université de Liège, se veut beaucoup plus mesuré, tout en regrettant l’absence de débat de fond préalable.

Le 15e jour du mois : D’une manière générale, quel regard portez-vous sur la réforme de la Justice ?

MassetAdrienAdrien Masset : Certains points sont positifs. D’autres moins. La loi “Pot-Pourri II” prétend trouver un nouvel équilibre entre l’accusation et la défense, en atteignant plus d’efficacité. Mais cela n’est pas démontré. Il n’y a pas eu d’études sérieuses pour mesurer l’impact de telle ou telle modification. Certaines d’entre elles sont malgré tout bien pensées. Par exemple, réduire le nombre de jugements par défaut. En effet, ils permettent à ceux qui ne se présentent pas au tribunal de faire revenir le dossier sur opposition. Le prévenu aura également la possibilité de plaider coupable. La Belgique n’a rien inventé. La France connaît cela depuis des années. Lorsqu’un prévenu se déclare coupable, il a la possibilité de se mettre d’accord avec le procureur sur une peine réduite. Cet accord est ensuite pris en charge par le tribunal qui doit vérifier si c’est bien équilibré et prononcer la peine. C’est un gain de temps et une manière de désengorger le tribunal, on peut l’espérer. D’un autre côté, il y aura peut-être l’effet pervers dénoncé en France, c’est-à-dire qu’il est très difficile de quantifier la réduction de peine réellement accordée.
Par contre, les mesures touchant à la détention préventive sont fortement critiquables. En effet, jusqu’à présent, le bien-fondé de la préventive était réexaminé par un juge après cinq jours, puis à intervalles mensuels. Maintenant, la réforme indique qu’après l’examen endéans les cinq premiers jours, suivront deux réexamens mensuels, mais au-delà ceux-ci se succèderont tous les deux mois.

Il était aussi question de promouvoir les peines alternatives. Or, la surveillance électronique et la probation existent déjà. Ces deux mesures figurent dans le code pénal depuis presque deux ans, mais elles ne sont pas d’application car les arrêtés royaux indispensables à leur mise en vigueur n’ont pas été signés. Depuis 2007, un tribunal de l’application des peines existe pour les condamnations de plus de trois ans ; par contre, aucun juge de l’application des peines, chargé des condamnations de moins de trois ans, n’a encore été nommé, faute de moyens. Je me méfie donc beaucoup de cette logorrhée sur les peines alternatives.
D’autres critiques concernent l’instruction, notamment les perquisitions. Avant, il fallait un dossier à l’instruction avec un juge d’instruction désigné qui décidait du mandat d’arrêt, des écoutes téléphoniques, des perquisitions, de toutes ces mesures qui sont gravement attentatoires aux libertés individuelles mais indispensables. Désormais, on aura recours à la mini-instruction pour la perquisition. Le procureur dirigera l’enquête et demandera une autorisation au juge d’instruction pour effectuer une perquisition. Ce recul de l’institution des juges d’instruction est annonciateur de leur disparition, dans quelques années. On y viendra à petits pas. Mais il ne s’agit pas de choix faits de manière claire. Ce sont des réformettes; on évite le débat de fond, car personne n’ose mettre en cause l’équilibre général.

Le 15e jour : Cette réforme permettrait de réaliser des économies. Or le Conseil de l’Europe a publié un rapport dans lequel il apparaît que la Belgique dépense déjà moins pour la Justice que la plupart des pays européens. Pourquoi était-ce donc si urgent dans ce cas de réaliser des économies supplémentaires ?

A.M. : C’est exact. La Belgique est dans le peloton de queue pour l’effort budgétaire réalisé à destination du service public de la Justice. Mais même cette partie-là impose des économies selon le discours ministériel. La Justice n’échappe pas aux coupes sombres réalisées dans chaque département. Il faut quand même savoir que le budget Justice est consacré pour plus de 90% aux frais de personnel. Actuellement, les magistrats qui partent à la retraite ne sont plus remplacés systématiquement ; les greffiers, n’en parlons pas. Ceci dit, l’économie à venir la plus manifeste reste la suppression en fait, pas en droit, de la cour d’assises.

Le 15e jour : Sur la cour d’assises justement, tous les crimes deviennent correctionnalisables. Ceci a suscité beaucoup de critiques. N’est-ce pas tout simplement prendre acte d’une tendance profonde, depuis longtemps engagée ?

A.M. : Cette tendance est effectivement bien réelle. Déjà sous la ministre Laurette Onkelinx on avait mis sur pied une commission pour réfléchir à la modernisation de la cour d’assises. La première option retenue avait été purement et simplement la suppression de cette instance. Mais la volonté politique n’a pas suivi. Par conséquent, on est toujours dans des réformettes. La dernière date de 2009 et avait permis une correctionnalisation à tout crin. À présent, suite à l’adoption de la réforme, on pourrait très bien ne plus avoir aucun procès de cour d’assises. Même si les textes restent tels quels. Il faut savoir que l’article 150 de la Constitution impose la présence du jury populaire pour les affaires criminelles. La correctionnalisation massive, presque totale, requiert de s’interroger sur la constitutionnalité d’un tel changement. Par ailleurs, les défenseurs de cette juridiction mettent en avant que certaines affaires se prêtent bien au cadre des assises. Prenons un crime passionnel : le mari tue l’amant de sa femme. Je préfère plaider ce dossier aux assises où l’accusé a bien plus de chances d’être acquitté qu’en correctionnelle.

Le 15e jour : La présence systématique d’un juge lors des délibérations du jury populaire constitue un autre changement. Le ministre Koen Geens assure qu’il ne s’agit de rien d’autre que de respecter l’obligation faite par la Cour européenne des droits de l’homme de motiver les verdicts de culpabilité. Est-ce la réalité ?

A.M. : La motivation est en effet obligatoire et la Belgique avait été condamnée par la Cour de Strasbourg lors de la célèbre affaire Taxquet. D’autres États avaient anticipé. La France, par exemple, a modifié ses procédures de façon à mettre en place un droit d’appel au bénéfice des personnes condamnées en première instance. Il aurait suffi à la Belgique, si elle voulait être complètement en ordre, d’instaurer le même dispositif. Cependant, le gouvernement n’a pas voulu de cette procédure d’appel, car c’était encore alourdir le système et le coût.

Le 15e jour : Vous ne partagez pas l’interprétation selon laquelle la démocratie recule à partir du moment où le jury populaire est mis à mal ?

A.M. : C’est vrai que la participation des jurés populaires à une procédure de cour d’assises est un des rares instants où les citoyens participent réellement à l’œuvre de justice. Mais il ne faut pas être naïf. Quelle est la composition sociologique d’un jury de cour d’assises ? D’une part, il faut avoir entre 18 et 65 ans. D’autre part, on observe qu’il y a peu de professions libérales, peu de chefs d’entreprise, peu d’indépendants. Ils se font porter pâles et demandent à être dispensés, ce qui fait que ce sont surtout des enseignants, des mères au foyer, des fonctionnaires qui constituent les jurys. Tous ceux dont l’absence peut être palliée d’une manière ou d’une autre durant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Il y a là beaucoup à redire.
De plus, ce jury est assez coûteux. Il est lent et, surtout, il verse totalement dans le jeu trouble des avocats. Celui qui emportera la mise en cour d’assises est celui qui plaide bien, qui a des artifices de langage. L’expert qui sera entendu sur une matière technique comme l’ADN ou la balistique ne paraîtra crédible que s’il s’exprime avec aisance. Les jurés sont très influencés par ces jeux de rôle. Des argumentations juridiques complètement fallacieuses peuvent être ainsi défendues par des avocats parce que les jurés n’ont pas les compétences pour les démonter. Devant le juge correctionnel, les mêmes avocats n’oseraient pas défendre la moitié du quart de ce qu’ils disent parfois en assises. Ils perdraient toute crédibilité.

Cependant, la critique essentielle est encore ailleurs. Avec le jury populaire, on donne à chacun l’idée qu’il suffit d’un peu de bon sens et d’expérience pour pouvoir juger correctement son semblable. Ce n’est pas rien. Cela peut aller jusqu’à décider de la réclusion à perpétuité. Pour être coiffeur ou dentiste, il faut justifier d’une aptitude professionnelle. Pour conduire un véhicule, il faut un permis de conduire. Par contre, pour “coller” 20 ans à quelqu’un, il ne faut aucune aptitude. C’est donc une banalisation du fait de juger. Le jury, lorsqu’il a été institué à l’issue de la Révolution française, se justifiait complétement car on se défiait alors des institutions. Le jury était un moyen de les contrôler. Aujourd’hui, on a quand même deux siècles d’expérience démocratique, d’équilibre et de séparation des pouvoirs.


* vidéo sur www.ulg.tv/3qmasset

Propos recueillis par Ariane Luppens
Photos : J.-L. Wertz
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