Mars 2016 /252

Protection de la jeunesse

Faire face à la radicalisation violente

Dans un article paru dans Les politiques sociales sous le titre “Quelle action psycho-éducative contre la radicalisation violente chez les jeunes?”*, Dominique Helin, Fabienne Glowacz et Seyfi Kumlu (ULg) posent la question de savoir quel travail il est possible d’effectuer avec des “jeunes radicalisés” dans les institutions publiques de protection de la jeunesse où, jugés pour faits de délinquance, ils sont placés par une autorité judiciaire.

« La radicalisation violente fait tout d’abord référence à un processus d’adoption d’un système de croyances extrémistes, au cours duquel un individu ou un groupe guidé par des conceptions philosophiques, religieuses, politiques ou idéologiques revendique un changement radical dans la société par des moyens d’action violents et non démocratiques, explique Fabienne Glowacz, chargée de cours à l’ULg et directrice du service de “psychologie clinique de la délinquance, des inadaptations sociales et des processus d’insertion” et de l’unité de recherche ARCH (adaptation, résilience et changement). Les mineurs et jeunes adultes sont les plus touchés par ces phénomènes, parce qu’il s’agit d’individus en pleine construction identitaire, notamment de leur identité sociale, aux prises avec des besoins d’appartenance et d’identification, et qu’ils se trouvent pour le coup plus vulnérables aux influences extrémistes. À plus forte raison lorsque ces jeunes ont, dans leur histoire, accumulé des humiliations, des sentiments d’injustice, de frustration sociale. Ils s’identifieront alors d’autant plus volontiers à un groupe discriminé que celui-ci propose la perspective d’un changement radical en réponse aux injustices subies, à un moment où eux-mêmes connaissent un affaiblissement non seulement de leur confiance en la société et en ses institutions, mais également de leur sentiment de maîtrise de leur vie. »

OFFRE UNIQUE

Les auteurs soulignent que ces jeunes ne sont pas parvenus à trouver d’alternatives à la radicalisation au sein de leurs réseaux familial, scolaire ou social. Leurs liens et le sentiment d’appartenance avec leurs proches et environnement social se sont d’ailleurs effrités progressivement, jusqu’à la rupture concomitante à leur adhésion au groupe radical. Embrassant un discours, légitimant la violence, tout en délégitimant l’ensemble des autres discours, « en ce compris, par exemple, ceux des imams promouvant un islam ouvert », les “jeunes radicaux” adoptent alors des pratiques violentes qu’ils n’avaient pas revendiquées auparavant.

« Ces jeunes n’ont pas nécessairement un profil de délinquants. Certains ne se livrent à de premières actions violentes que tardivement, parce qu’elles sont un vecteur d’adhésion au groupe », remarque Fabienne Glowacz. Cette radicalisation prend-elle forcément appui sur une religion ? « On pourrait tout aussi bien trouver des manifestations de radicalisation violente dans des groupes d’extrême gauche ou d’extrême droite, mais il est vrai qu’elles sont principalement, aujourd’hui, associées à l’islam, ou à tout le moins à un détournement de ses préceptes. » À défaut, comme l’avancent certains sociologues, de pouvoir trouver d’autres offres sur le marché de la révolte radicale ? « L’offre de sens suggérée par le combat djihadiste apparaît comme un questionnement inédit au travers duquel le jeune trouve les possibilités d’une inscription identitaire prestigieuse et valorisante alors que d’autres offres alternatives n’ont pu promettre aux jeunes de telles perspectives », admet la chercheuse.

REMODELAGE IDENTITAIRE

Les trois auteurs de l’article répertorient un ensemble de pratiques, appliquées en institutions résidentielles, destinées à « renverser le processus » dans lequel les jeunes radicalisés sont engagés. « Il ne suffira pas, écrivent les chercheurs, de changer d’opinion ou de comportement. [Le jeune] devra surtout retrouver une place dans la société et une réalisation de soi par des engagements permettant une reconstruction identitaire en un “autre soi” (...). » Prenant appui sur une équipe pluridisciplinaire et multiculturelle d’éducateurs, d’enseignants et de psychologues, il est question de « favoriser l’engagement de nouveaux liens sociaux avec des intervenants qui, avec l’appui d’alliances thérapeutiques, de re-légitimation, de remise en confiance pourront contribuer au désengagement, donc au renoncement à la violence comme mode de fonctionnement ». Réflexions sur les notions de discrimination, tolérance et injustices, activités de mise en paroles, actions philanthropiques et autres médias thérapeutiques sont notamment au menu de ce travail de “remodelage identitaire”. Et Fabienne Glowacz d’insister sur ce que cette approche vaut pour tous les jeunes délinquants présents dans ces institutions : « Il ne peut être question de stigmatiser les jeunes radicalisés; l’hétérogénéité des groupes et la diversification des problématiques permet de limiter les collusions et les risques de renforcement des idées radicales, et de proposer à ces jeunes comme aux autres mineurs une mise au travail réflexif et expérientiel, individuelle et collective. »


* “Quelle action psycho-éducative contre la radicalisation violente chez les jeunes ?”, par Dominique Helin, Fabienne Glowacz et Seyfi Kumlu, dans La participation civique et politiques des jeunes en Europe : obstacles et facilitations, M. Born (dir.), Les politiques sociales, 2015, Vol. 75 Issue 3/4, pp. 108-118.

Patrick Camal
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