Mars 2016 /252

Un métier d’avenir

Architecte, producteur de synthèses construites

Pour vous convaincre en quelques lignes et quelques raccourcis, un exercice de contorsion s’impose. En effet, par quel principe et suivant quelle stratégie un métier devenu aujourd’hui pratiquement inopérant pourrait-il devenir un métier d’avenir ? Vous avez dit inopérant ?
Pour tenir cet argument difficilement audible, une trajectoire possible d’explication (il y en a beaucoup d’autres) serait la suivante. Chronologiquement et en cinq actes :

Acte 1 : symbiose

Pendant des millénaires, l’homme construit en symbiose avec le paysage. Sans architecte.

Acte 2 : cohérence et continuités

L’espace construit auquel nous nous associons (aujourd’hui encore) résulte d’une transformation continue de la ville médiévale, devenue ville de la Renaissance et ensuite ville du XIXe siècle. Ces transformations successives font appel à une série de règles explicites et implicites partagées. Le partage induit la cohérence.

Acte 3 : rupture et discontinuités

Stimulés par l’industrialisation du XIXe siècle, portés par une croissance exponentielle, fascinés par des techniques innovantes et confrontés à de nouvelles questions sociétales, les architectes modernistes proposent une possible table rase, un esprit nouveau, une rupture. Ils ont raison, et les autres ont tort. Ou ils ont tort, et les autres ont raison. L’appréciation du monde construit devient binaire. Le dialogue entre les uns (architectes) et les autres (citoyens, décideurs) se fragilise. La méfiance des uns vis-à-vis des autres, et réciproquement, s’installe durablement. Pour la première fois peut-être, l’évolution du monde construit trouve ses fondements dans un climat instable de méfiance réciproque et de dialogue interrompu.

Acte 4 : exister / faire face

Ce climat instable offre une opportunité sans précédent à l’architecte “libéré” de toute contrainte. Distant d’un langage partagé, éloigné de toute exigence de dialogue, l’architecte isolé mise alors sur sa capacité à se singulariser, à proposer une approche personnelle, à marquer les esprits, à laisser une trace tangible. Et face à cette addition de moments singuliers, le décideur et le citoyen n’ont d’autre choix que d’aimer ou pas, d’approuver ou pas… d’espérer ou pas.
Les conséquences observables de cette insupportable légèreté en ce qui concerne notre aptitude à affronter les enjeux particulièrement complexes liés au devenir du monde construit contemporain ne laissent-elles pas suggérer que nous sommes devenus collectivement inopérants ? Un fondement actualisé de notre action s’impose.

DeffetBernardActe 5 : synthèse

Nous sommes au pied du mur. Le fondement actualisé de notre action impose à tous l’effort de synthèse. Car la synthèse est par définition inclusive. Sur base d’une compréhension approfondie du langage des formes, mais aussi d’un éventail élargi de paramètres évolutifs en jeu (programmatiques, contextuels, techniques, historiques, budgétaires, etc.), la responsabilité de l’architecte est bien d’assurer la production de synthèses construites, sensibles, critiques et dynamiques (aux antipodes de l’acte créatif isolé et singulier). La responsabilité du commanditaire est d’exiger cette synthèse et de faciliter son émergence. Cette capacité de synthèse est l’essence-même d’une discipline. S’y atteler est un exercice de la plus haute exigence. Même une révolution numérique dévastatrice pourrait ne pas s’y frotter. Un métier. Un métier d’avenir, disais-je.

Bernard Deffet
architecte Baumans-Deffet
chef de travaux en faculté d’Architecture ULg

|
Egalement dans le n°269
Éric Tamigneaux vient de recevoir le prix ACFAS Denise-Barbeau
D'un slogan à l'autre
Résultats de l'enquête auprès de "primo-arrivants" en faculté des Sciences
21 questions que se posent les Belges
Le nouveau programme fait la part belle à l’histoire de la cité
Panorama des jobs d'étudiants