Avril 2016 /253

Microalgues : Chercher la chimère

Pierre Cardol vient d’obtenir un financement européen pour étudier les processus bioénergétiques chez les microalgues.

CardolPierreConvertir la lumière en énergie chimique : c’est le super pouvoir des plantes. Mais la photosynthèse a sa face cachée : à l’échelle terrestre, elle est réalisée pour moitié dans les océans, d’une part par des bactéries photosynthétiques, d’autre part par des organismes eucaryotes unicellulaires qui se sont approprié le processus de photosynthèse de manière secondaire. Chose que l’on ignorait encore il y a peu. « La respiration et la photosynthèse sont deux processus étudiés depuis Pasteur, Lavoisier, et même avant. La discipline a pris un essor considérable avec les travaux de Peter Mitchell au début des années 60, couronnés par un prix Nobel en 1978, jusqu’à la dernière révolution : le séquençage à grande échelle de l’ensemble des organismes eucaryotes », explique Pierre Cardol. De quoi rendre obsolètes nos vieux manuels de science.

Oubliées les trois grandes catégories du vivant : animaux, plantes et protistes. « L’avènement de la génomique a révélé que l’arbre du vivant était bien plus compliqué que ça. Nous avons d’un côté les animaux et les champignons – le champignon n’est pas un végétal ! –, de l’autre les plantes terrestres – en ce compris les algues –, et enfin près d’une dizaine de lignées d’organismes unicellulaires dont certains sont photosynthétiques. Mais cette photosynthèse a été acquise secondairement par des phénomènes d’endosymbiose avec des algues vertes ou rouges », développe le chercheur.

Chimere-2UNE VOIE DE RECHERCHE INEXPLORÉE

Ce sont ces organismes chimériques, alliant un processus de photosynthèse et un métabolisme au sein duquel ce processus a peu été étudié, que Pierre Cardol va désormais pouvoir explorer grâce à un European Research Council (ERC) Consolidator Grant de 1 800 000 euros*. « On ne sait rien de ces organismes. Or, ils ont une importance biologique, voire biotechnologique. Quand on découvre de nouvelles espèces, il y a toujours l’idée qu’on pourrait y détecter de nouvelles voies métaboliques, de nouvelles molécules pharmacologiques, etc. » Dans un contexte de changement des océans et de modification climatique, l’efficacité de ces microalgues dans les échanges de gazeux devrait particulièrement attirer l’attention.

Réparti sur cinq ans, ce financement permettra à Pierre Cardol d’étoffer son équipe en engageant des doctorants et post-doctorants. L’obtention de ce substantiel coup de pouce est aussi le résultat de soutiens antérieurs de l’université de Liège et du FNRS (mandat d’impulsion scientifique). « La Belgique a obtenu neuf Consolidator Grants, dont trois pour la partie francophone du pays, ce qui signifie qu’il y a presque un projet soutenu par million d’habitants. Cela peut paraître peu, mais c’est deux fois plus que ce qu’ont obtenu la France et l’Allemagne », souligne-t-il. Cela traduit aussi, selon lui, le fait que la recherche fondamentale en Fédération Wallonie-Bruxelles est de bon niveau, malgré un financement qui n’est pas à la hauteur des objectifs européens.

Chimere-1RÉSULTATS

Quant à savoir ce que ces cinq ans réservent, le suspens reste entier. « Notre volonté est de décortiquer les mécanismes de régulation et d’interaction d’un point de vue génétique, biochimique et biophysique chez les différentes lignées d’eucaryotes photosynthétiques marins. C’est un projet peu risqué, dans le sens où l’on sait que l’on obtiendra des résultats. Mais on ne sait pas du tout lesquels ! On ne pourra pas faire en cinq ans ce qu’on a mis 50 ans à comprendre chez les algues vertes et les plantes à fleurs : nous devrons nous focaliser sur certains mécanismes déjà bien établis chez les plantes pour voir en quoi ils sont ou non différents », conclut Pierre Cardol.

* Le Conseil européen de la recherche délivre annuellement quatre types de financement (Starting Grants, Consolidator Grants, Advanced Grants et Proof of Concept) à des projets de très haut niveau, qui s’engagent dans des voies de recherches inédites.

Julie Luong
Photos : Raluca Stefan Cel Mare
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