Mai 2016 /254

Solidarités

Discrimination, intégration et vie sociale au menu d’une rencontre de la MSH

Après la soirée consacrée aux “Mobilités” le 3 mars dernier, la MSH clôture sa saison par une rencontre autour des “Solidarités” le 23 mai prochain. À cette occasion, Aude Lejeune*, chercheuse associée au Centre de recherche et d’interventions sociologiques à la faculté des Sciences sociales de l’ULg, fera part de ses recherches consacrées aux mobilisations du droit contre les discriminations en Europe et aux États-Unis.

Les politiques de lutte contre la discrimination sont récentes : sous l’impulsion européenne, la loi anti-discrimination ne voit le jour, en Belgique, qu’en 2003, dans un pays certes déjà doté d’un droit social et du travail développé.

LejeuneAude« Le dispositif de lutte contre la discrimination, explique Aude Lejeune, appuyé par le Centre interfédéral pour l’égalité des chances et l’Institut pour l’égalité des hommes et des femmes, tente d’articuler deux types d’action : d’une part, la défense des plaignants individuels et la tenue de permanences juridiques, et, d’autre part, une politique plus structurelle de réduction des inégalités et de prise en compte de la discrimination comme phénomène global. Cela se concrétise, par exemple, par des projets de sensibilisation, des publications et la mise sur pied de formations. » Dans son dernier rapport, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances rapporte avoir ouvert quelque 1670 dossiers, suite à plus de 4600 “signalements”, et en avoir clôturé plus de 2000 dont la moitié portait “des indications claires d’une infraction à la législation anti-discrimination ou une présomption de discrimination”.

DU POSITIF ET DES DIFFICULTÉS

Ce dispositif est-il efficace ? « On observe quelques avancées », indique Aude Lejeune, qui rappelle que le Centre et l’Institut ont développé une maîtrise très fine de la législation et de la jurisprudence en matière de discriminations. « Ces organismes publics et neutres posent régulièrement des questions et convoquent les parties discriminantes. Et s’il est vrai que celles-ci ne sont pas tenues de s’exécuter, le Centre et l’Institut pèsent néanmoins d’un certain poids : les employeurs prennent souvent leur avis en compte et sont peu enclins à courir le risque de voir leur nom associé à un fait de discrimination dans les médias. » Les deux organismes jouent surtout un rôle de médiation, l’option judiciaire n’étant retenue qu’en dernier recours (seulement 14 cas recensés en 2014, soit parce que les faits étaient particulièrement graves, soit que le cas présentait “un enjeu sociétal important”).

« En revanche, concède la chercheuse, le plus gros problème – en Belgique comme ailleurs – tient à la preuve de la discrimination. Cet obstacle est particulièrement patent à l’embauche ou dans l’emploi, où les preuves et témoignages font défaut la plupart du temps.  » Et de rappeler que, en matière de discriminations, c’est à l’accusé de faire la preuve de sa non-culpabilité. « Ceci n’est guère difficile. On refuse une candidate tout à fait qualifiée au motif à demi avoué qu’elle porte le voile ? L’employeur s’en défendra en pointant d’autres profils mieux adaptés, etc. »

INÉGALITÉS STRUCTURELLES

Selon le rapport 2014 du Centre, 24% des 1670 dossiers ouverts l’ont été dans le domaine de l’emploi. C’est presque autant que la discrimination en matière d’accès aux biens et aux services (25%) et légèrement plus que celle détectée dans les médias ou internet (20%). Quelque 42% de ces dossiers furent ouverts en raison d’une discrimination raciale, 20% en raison d’un handicap et 16% en raison d’appartenance religieuse.

« Certains acteurs de terrain critiquent le fait que la lutte contre la discrimination repose sur des plaintes portées individuellement, ce qui ne permet pas une approche structurelle de la réduction des inégalités au sein de la société. Lorsque des plaignants souhaitent saisir l’attention de la presse ou de la justice et lorsqu’ils décident d’aller plaider leur cause devant les tribunaux, les procès prennent souvent la forme d’une analyse d’échanges de courriels entre monsieur X et son patron autour de questions très techniques ou spécifiques à la relation de travail en question. Certains cas sont emblématiques et peuvent contribuer à transformer les pratiques au sein du monde du travail ou, à tout le moins, l’attitude des magistrats par rapport à ces questions. Force est de constater que d’importantes inégalités structurelles persistent dans notre société : les personnes en situation de handicap connaissent un taux de chômage trois fois plus élevé ; les personnes d’origine étrangère éprouvent toujours autant de difficultés à trouver de l’emploi. Sans parler des inégalités entre hommes et femmes », résume la chercheuse. De quoi donner du grain à moudre lors de la table ronde du 23 mai.

* Aude Lejeune consacre un chapitre relatif à la politique de lutte contre les discriminations en Belgique dans un ouvrage collectif intitulé Dialogues sur la diversité (sous la direction de Rachel Brahy et Élisabeth Dumont), aux Presses universitaires de Liège (mars 2016).


Soirée “Solidarités”

Soirée de clôture de la saison de la MSH, le lundi 23 mai, à la Cité Miroir, place Xavier Neujean 22, 4000 Liège :

- à 17h : table ronde sur “Discrimination, intégration et vies sociales”
Avec la participation de Hassan Bousetta (ULg), Patrick Charlier (Centre pour l’égalité des chances), Aude Lejeune (ULg et université de Lille), Christine Mahy (Réseau wallon de la lutte contre la pauvreté), Régis Simon (Cripel) et le Pr Didier Vrancken (ULg, directeur de la MSH).
Inscription souhaitée par courriel msh@ulg.ac.be

- à 20h : spectacle “Quelle qu’en soit l’issue” de la Compagnie Espèces de…
Réservation indispensable par courriel reservation@citemiroir.be

 

Patrick Camal
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