Juin 2016 /255

Intelligence artificielle

Points de vue du Pr Nicolas Petit (Droit) et de Philippe Coucke (Médecine) sur la manière dont le numérique va inonder notre quotidien.

Le numérique, la robotique, l’intelligence artificielle, loin d’être des visions futuristes et lointaines, vont inonder notre quotidien de manière de plus en plus prégnante. Cette transition, reflet d’une époque et d’une société, cause d’énormes modifications, annonce une évolution des mentalités et pose de nombreuses interrogations. tour de la question avec deux spécialistes passionnés : le pr nicolas petit, de la faculté de Droit, et philippe Coucke, chargé de cours en faculté de Médecine.

Le 15e jour du mois : Vous donnez un cours d’introduction au droit des robots et des intelligences artificielles : ce n’est donc plus de la science-fiction ?

PetitNicolasNicolas Petit : Les technologies robotiques et les intelligences artificielles (IA) sont déjà utilisées dans l’industrie et sont progressivement introduites dans la société. Bien sûr, certains pays sont plus en pointe que d’autres (Japon, Corée, États-Unis), tout comme certains secteurs (automobile, défense, restauration, hôpitaux, gestion de crises).

Le 15e jour : Qu’est-ce qui justifie aujourd’hui une réponse législative ?

N.P. : Pour l’heure, mis à part quelques soucis anecdotiques, ces technologies n’ont pas réellement causé de problèmes. selon moi, deux types de préoccu- pations interpellent. La première est éthique. C’est ce que j’appelle “la dystopie du terminator”, c’est-à-dire la capacité et le risque d’autonomisation totale des IA. Ce danger existentialiste a surtout été souligné par des futurologues ou des personnalités comme Elon Musk (tesla Motors), le scientifique steven Hawking ou encore le philosophe Nick Bostrom. La deuxième préoccupation concerne davantage notre quotidien immédiat. Le robot-jardinier qui asperge le chat du voisin de désherbant toxique. Il est important de savoir si les outils juridiques en vigueur permettent de régler ce type de désaccord.

Le 15e jour : Ces outils interrogent donc essentiellement la responsabilité ?

N.P. : Pour une bonne partie, oui. Et, sur ce point, il existe plusieurs types de règles de responsabilité : du fait d’autrui, du fait des choses ou encore du fabricant pour produits défectueux. L’application de ces règles dépend de la manière dont ces IA seront envisagées : objet inerte, agent, steward, enfant, etc. Certains auteurs aux États-Unis ont par exemple proposé de s’inspirer de règles adoptées à l’époque de l’esclavage...

Le 15e jour : Où en est-on aujourd’hui ?

N.P. : Le débat est plus sophistiqué dans les pays où la technologie est plus mature. Au Japon, des zones entières du pays sont déréglementées temporairement pour permettre l’expérimentation. En Europe continentale, les juristes sont moins avancés. toutefois, le réflexe pavlovien de la réglementation interventionniste y est plus prononcé. Il est donc probable que l’Europe avance rapidement sur ce terrain. L’Union européenne a commencé à travailler sur le sujet, et l’on voit les premières législations apparaître. Le tout est de trouver un juste milieu qui, à la fois, protège les utilisateurs et, encourage les développeurs de technologies.

Le 15e jour du mois : Pourquoi le monde médical s’est-il engouffré dans les nouvelles technologies ?

CouckePhilippePhilippe Coucke : D’abord, le coût important de la santé qui ne va ces- ser d’augmenter, ce qui est tout simplement intenable financièrement. L’avènement de ces applications va permettre de passer d’une médecine curative très chère à une médecine préventive beaucoup moins coûteuse. Il y a ensuite l’inefficience du système qui selon l’OCDE avoisine les 40%. Aujourd’hui, beaucoup trop de données ne sont ni récoltées ni analysées à cause de dossiers médicaux mal structurés et donc inaccessibles. Or, le cloud, le dossier médical informatisé, va permettre un suivi beaucoup plus continu. L’avènement du crowd, du pouvoir transversal, est aussi central. Aujourd’hui, tout un chacun peut de manière complètement transparente via le net se rendre compte des problèmes qui secouent le secteur de la santé publique et donc réclamer une augmentation d’efficience, de qualité et de sécurité des trai- tements. Parallèlement, ces technologies permettront une plus grande accessi- bilité aux soins de santé. Il ne faut pas oublier qu’actuellement 1,6 milliard de personnes dans le monde n’y ont pas accès et que, dans les pays industrialisés, les délais d’attente avant une consultation sont de plus en plus longs.

Le 15e jour : Qu’est-ce que cela va concrètement changer ?

P.C. : Plus qu’une évolution, nous vivons aujourd’hui une véritable révolu- tion. La déferlante du numérique, de la robotique en médecine va totalement changer la donne et on ne l’arrêtera pas parce que, derrière cela, on retrouve de grands groupes financiers. La télémédecine, par exemple, va de plus en plus se développer. Il n’y aura donc plus de réel contact entre le patient et son médecin. Les applications vont également dans le sens de moins en moins d’intervention médicale. Peut-être va-t-on se diriger dans le futur vers deux types de praticiens. D’une part, une sorte d’hybride entre le médecin et l’ingé- nieur et, de l’autre, un spécialiste des sciences humaines essentiellement centré sur l’accompagnement du patient dans son trajet de soins. Ensuite, en plus de la vision globale du patient, le dossier informatisé va également démultiplier le choix des variables (illimitées lorsqu’on aura craqué le code génomique d’un individu) à prendre en compte lors du diagnostic. Pour qu’il soit correct, le médecin ne pourra tout simplement plus se passer de l’IA. Au niveau des hôpi- taux, il va également falloir emboîter le pas. Le CHU de Liège a d’ailleurs l’in- tention d’entrer dans cette culture du mining de données. Bien que nous n’en soyons qu’aux balbutiements, nous avons déjà eu plusieurs contacts avec IBM.

Propos recueillis par Martha Regueiro
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