Juin 2016 /255

Projet planétaire

Pour l’économie sociale

Leader d’une recherche d’envergure mondiale, l’ULg montre la diversité des modèles émergents d’entreprises sociales.

Si pas pour le profit, pour quoi ? Et comment ? : tel est présenté, en deux questions laconiques, le principe moteur et interpellant de l’économie sociale. Ce pan encore méconnu de l’économie, dont le profit n’est plus le maître-mot, vise à satisfaire des besoins importants qui ne sont pas (ou pas assez) rencontrés par le secteur privé à but de lucre ni par l’État aujourd’hui en butte aux contraintes budgétaires. D’où la multiplication d’initiatives citoyennes en tous genres, ainsi que de partenariats innovants pour surmonter les obstacles qui freinent les projets dans des domaines a priori peu ou pas du tout rentables.

Entrepreneuriat social

Cette créativité foisonnante, la recherche de nouveaux modes de production ou de distribution (circuits courts par exemple), la mobilisation de nouvelles ressources (crowdfunding et autres), le recours aux nouvelles technologies de l’information, tous ces éléments font que l’on parle de plus en plus d’un véritable “entrepreneuriat social ou sociétal“ ainsi que de l’émergence d’entreprises sociales partout dans le monde.

Parmi les champs qui mobilisent de plus en plus d’énergies créatrices, on peut relever, en vrac : l’environnement, à protéger ; l’alimentation, à assainir; la santé, à rendre moins coûteuse ; l’échec scolaire, à combattre ; la qualification professionnelle des gens déclassés, à perfectionner, et d’une manière plus générale toutes les formes de lutte contre l’exclusion sociale. Liste à laquelle il convient d’ajouter la recherche de nouveaux modes de coopération avec les pays du Sud – notamment par un commerce plus équitable – , la volonté de privilégier l’épargne éthique, le développement local, une économie plus “circulaire“, etc.

L’ampleur de ces défis et le développement rapide de la recherche sur l’entrepreneuriat social a amené la Politique scientifique fédérale à sélectionner et à soutenir pour cinq ans (2012-2017) un Pôle d’attraction interuniversitaire (PAI) sur l’entreprise sociale, coordonné par le Centre d’économie sociale (CES) et en particulier par son directeur, le Pr Jacques Defourny (HEC Liège) : « C’est un consortium qui rassemble 12 professeurs et 40 chercheurs de l’ULg, de l’UCL, de l’ULB et de la VUB. Nous nous sommes donnés cinq grands axes de recherche : l’entrepreneuriat social et l’innovation sociale, le financement de l’entreprise sociale, sa gouvernance,  ses ressources humaines et les emplois qu’elle crée, et enfin les modèles émergents d’entreprise sociale. »

jacques_defourny03Sur ce dernier thème, Jacques Defourny et sa collègue Marthe Nyssens de l’UCL ont lancé, au sein même du PAI, un projet intitulé “ICSEM” pour International Comparative Social Enterprise Models, qui connaît un succès dépassant toutes les attentes. C’est à l’université de Liège qu’a été lancé ce projet, au terme d’une grande conférence internationale organisée par le CES.  « Du 1er au 4 juillet 2013, se souvient le Pr Defourny, se sont retrouvés au Sart-Tilman 400 scientifiques du monde entier. Et plus de 100 participants de 25 pays sont restés le 5 juillet pour assister à la présentation et au lancement d’ICSEM et pratiquement tous se sont engagés dans l’aventure le jour même. Après six mois, ce sont 230 chercheurs de 56 pays de tous les continents qui sont venus grossir les rangs de cette recherche comparative sur l’entreprise sociale à l’échelle mondiale. En s’engageant à trouver eux-mêmes les moyens humains et financiers pour réaliser leur travail sur leur pays ! »

A ce jour est en passe d’être terminée l’identification des principaux modèles d’entreprises sociales dans presque tous les pays concernés, avec à la clé le décryptage de leurs écosystèmes respectifs. Parmi d’autres réalisations se détache la confection d’un questionnaire identique, longuement discuté entre chercheurs et traduit en de multiples langues, destiné à établir une base de données permettant des analyses comparatives à l’échelle régionale et mondiale ainsi que par type de “mission sociale” poursuivie par les entreprises sociales. Et pour jalonner tout ce cheminement depuis l’année 2013 ont été organisés entre chercheurs des ICSEM Regional Symposiums au Chili, en Corée du Sud, en Finlande, en Albanie et le prochain le sera au Brésil. Sans compter les ICSEM Local Talks – en Pologne, en Corée du Sud, en Suisse, en Allemagne, en Israël, etc. – où ont été discutés les résultats provisoires avec les parties prenantes locales (pouvoirs publics, milieux associatifs, fondations, etc.).

Comparaisons internationales

« Les travaux au niveau des pays étant quasi achevés, on est à présent plongé dans des comparaisons internationales, conclut Jacques Defourny. Des numéros spéciaux de revues scientifiques sont en préparation, ainsi que plusieurs ouvrages. Le chantier est immense qui se propose de documenter la panoplie des modèles d’entreprises sociales de par le monde, encastrés qu’ils sont dans des contextes locaux propres, que ce soit du point de vue culturel ou socio-politique. En tout cas, face aux grands défis contemporains, il est plutôt réconfortant de voir émerger un peu partout sur la planète des initiatives orientées vers l’intérêt général. Et cette poursuite du bien commun est d’autant plus intéressante qu’elle est le fait d’acteurs de terrain, dont l’engagement et la variété même contribuent à la reconfiguration des rapports entre l’État, le marché et la société civile. »

   
* www.iap-socent.be/icsem-project

Henri Deleersnijder
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