Septembre 2016 /256

Une Américaine au Sart-Tilman

La sculpture de Fernand Flausch, inaugurée le 20 novembre 1980

MortAutomobile-1Posée sur un socle, telle un personnage historique commémoré, mais coulée pour moitié dans du béton, comme si elle était actuellement en train de s’y enfoncer, la Cadillac, l’un des grands symboles de l’âge d’or de l’industrie automobile américaine, dont on ne sait si elle est célébrée ou moquée, confère à l’œuvre toute la polysémie qui en a fait l’une des pièces les plus controversées du Musée en plein air du Sart-Tilman. Apologie ? Critique ? Clin d’œil amusé ? L’œuvre, installée en 1980, située sur un bord de route, suscite le regard curieux de nombreux automobilistes depuis plus de 35 ans, qui se trouvent être, n’en déplaise au titre prophétique de Flausch, ses principaux spectateurs.

ŒUVRE EMBLÉMATIQUE ET POLÉMIQUE

Construit dès les années 1960 sous l’impulsion du recteur Marcel Dubuisson, le campus du Sart-Tilman, dont l’aménagement est dû à Claude Strebelle, a très vite été pensé comme un espace où les œuvres d’art s’intègreraient à l’architecture des lieux. Cette volonté d’inclure un art public, un art pour tous, au centre du nouveau campus, s’est concrétisée par la création, en 1977, du Musée en plein air. Fin des années 1970, décision fut prise de confier un projet d’une nouvelle pièce à Fernand Flausch, artiste liégeois reconnu internationalement pour ses productions pop art, Grand Prix de la Biennale de Sao Paulo en 1973. La mort de l’automobile est devenue l’une des plus visibles du Musée, mais aussi l’une des plus grandes fiertés de son auteur.

« L’œuvre de Flausch est devenue symbolique car elle est au cœur même de “l’être” du Sart-Tilman : la circulation, l’automobile, la création d’un vaste domaine qui sinon aurait été livré à la promotion immobilière », observe Jean Housen, conservateur du Musée en plein air. En effet, La mort de l’automobile touche à une problématique essentielle du campus depuis sa naissance : l’accessibilité et la mobilité pour la communauté universitaire. Initialement située au bord d’une route sans issue, l’œuvre a pris une toute nouvelle dimension, surgissant quasi au bord d’une route saturée de véhicules privés, et insuffisamment desservie par les transports en commun. Cette indétermination, ce flou volontaire qui entoure La mort de l’automobile fait, selon Jean Housen, sa force : « L’œuvre est très ambiguë, et c’est sans doute pour ça qu’elle fonctionne bien. »

MortAutomobile-3LA MORT DE L’AUTOMOBILE ?

Depuis son installation, l’œuvre a été la cible de nombreuses interventions du public : tags, graffitis, ou purs actes de vandalisme. Parmi ceux-ci, retenons l’inscription partisane graffée dans les années 1980, “L’auto, c’est la liberté !”. à signaler aussi le vol des enjoliveurs d’origine et des chasseurs testant l’impact de leur chevrotines sur la carrosserie de la Cadillac. Décédé en 2013, Flausch était présent lors de la dernière rénovation de la sculpture : nettoyage du socle, traitement de la rouille et peinture de la carrosserie. Ironie du sort, la pièce porte en son titre sa propre fin. S’il n’est pas certain, comme il le suggérait, que l’automobile meure, sa Mort de l’automobile est bel et bien condamnée. Dans le cadre de son élaboration, la partie visible de la voiture avait été vidée et remplie de polystyrène qui, en séchant, s’est contracté, laissant des espaces vides près de la carrosserie, où l’eau s’est infiltrée. Résultat, la voiture rouille de l’intérieur. Comme l’explique Jean Housen, La mort de l’automobile n’est pas la seule pièce d’un musée où certaines œuvres, soumises aux intempéries, au vandalisme, ou aux avatars de matériaux fragiles, remettent en question la notion de l’immortalité des œuvres d’art. Petit détail amusant, qui n’aurait pas manqué de faire rire Flausch, l’œuvre a été immortalisée par Google StreetView, avec, devant elle, deux voitures sur le bas-côté, leurs propriétaires rédigeant les constats d’un banal accrochage. Bien que condamnée, La mort de l’automobile continue de vivre.


* Informations sur www.museepla.ulg.ac.be
* voir la vidéo sur www.ulg.tv/mortautomobile

Kevin Jacquet
Photos : Couleur : Musée en Plein Air - N/B : Françoise Denoël
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