Octobre 2016 /257

4 questions à Michaël Dantinne

Sur le terrorisme et la radicalisation

À l’initiative du Pr Michaël Dantinne, expert près la commission d’enquête sur les attentats en Belgique, et de son équipe*, un Centre d’étude du terrorisme et de la radicalisation (CETR) vient de voir le jour au sein de l’UR “Cité” en faculté de Droit, Science politique et Criminologie. Essentiellement composé de criminologues et de politologues mais ouvert à d’autres expertises, le centre a pour ambition première de constituer un groupe de recherche sur ce phénomène. Rencontre.

Le 15e jour du mois : La question va paraître impertinente : pourquoi faire des recherches sur le terrorisme ?

DantinneMichaelMichaël Dantinne : La Belgique, hélas, est au cœur de cette forme particulière de crime dans laquelle le funeste anniversaire des attentats du 11 septembre 2001 marque incontestablement un tournant historique. Les drames du 13 novembre 2015 à Paris et ceux du 22 mars 2016 dans la capitale belge ont un lien avec la Belgique. Comment endiguer ces actes violents susceptibles de concerner notre pays comme base arrière ou comme cible ? Cette question taraude la classe politique, laquelle désire appréhender correctement le phénomène afin de le contrer efficacement. C’est exactement l’objectif du CETR : mieux comprendre le terrorisme (la criminalité), mieux cerner la psychologie et les motivations des auteurs (les criminels) et mieux décrypter leurs méthodes (les crimes). La matière est délicate parce qu’elle touche à l’idéologie et qu’elle suscite légitimement beaucoup d’émotion.

Le CETR veut combler certaines carences dans la connaissance des domaines de la radicalisation et du terrorisme. Il ne s’agit pas d’émettre une opinion mais une analyse argumentée dont les autorités pourront s’inspirer pour prendre (ou non) des mesures préventives et répressives. Le centre est donc bien un laboratoire de recherche scientifique fondamentale.

Le 15e jour : Votre approche sera multidisciplinaire ?

M.D. : Évidemment. Nous ne partons pas d’une page blanche : des données existent qui permettent une première analyse empirique de la situation. Depuis 2003, les chercheurs envisagent le terrorisme sous l’angle théorique principalement, mais le CETR entend promouvoir une vision interdisciplinaire et intégrative. Au départ d’un focus initial de nature criminologique – par essence pluridisciplinaire –, le CETR veut croiser les regards, les expertises et les compétences. Il a ainsi l’ambition de développer différentes collaborations avec d’autres universités belges et européennes.

À côté de cet important volet de recherche, l’enseignement ne sera pas oublié. Les résultats de recherche seront dispensés dans le cursus des criminologues bien sûr, mais nous pensons aussi à proposer des formations réservées aux professionnels confrontés au radicalisme : policiers, magistrats, assistants sociaux, journalistes, etc.

Le 15e jour : Le 20 octobre, la première journée d’étude du CETR sera consacrée aux kamikazes.

M.D. : L’intitulé exact de cet après-midi d’étude est “kamikazes, attentats-suicides et crimes de haine”. Notons d’emblée que l’acception actuelle du mot “kamikaze” est éloignée de son sens premier. Au Japon, le kamikaze était un militaire à qui l’on donne l’ordre d’effectuer une mission-suicide. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le terme est utilisé dans d’autres langues et désigne une personne qui sacrifie sa vie volontairement dans un attentat-suicide. La différence est capitale puisque le kamikaze japonais s’en prenait à des objectifs militaires tandis que les récents attentats sont perpétrés contre des populations civiles. Parler d’“attentat-suicide” est donc plus correct lorsque l’on évoque les drames récents : une personne (ou un petit nombre de personnes) provoque une tragédie en y laissant sa propre vie et en arguant, très souvent, d’une revendication de type idéologique.

Nous souhaitons attirer l’attention sur ces nuances car, prononcés dans l’émotion d’une tragédie, les termes choisis auront des conséquences en cascade. Le drame du 14 juillet à Nice, par exemple, est-il un attentat-suicide ou un crime de haine ? Les actes homophobes – pensons à Orlando – sont-ils de nature idéologique ou de haine ? Ou les deux ? Poser ces questions, c’est aussi poser celle de savoir ce qui, in fine, confère sa dimension et son étiquette terroriste à un acte criminel.

La façon dont les autorités publiques vont présenter la catastrophe va engendrer une réponse spécifique, se répercuter dans les médias et nourrir l’imaginaire populaire... Est-il pertinent, par exemple, dès l’annonce du nombre de victimes, de chercher la défaillance des services de sécurité ? Même bien pensé, un système ne peut pas être infaillible, sauf à transformer notre société en bunker. Faire croire le contraire revient à revendiquer toujours plus de mesures sécuritaires. Il faut donc rechercher un subtil équilibre…

Le 15e jour : Comprendre le processus de radicalisation, ce n’est pas l’excuser...

M.D. : Comprendre le processus, c’est mieux le combattre ! La lecture islamiste de l’actualité et des attentats-suicides est différente de la nôtre. Il existe des contorsions théologiques pour justifier les bombes et autres engins de mort. Le processus de radicalisation commence par une reconstitution du réel : la lecture du conflit israélo-palestinien, par exemple, celle de la situation en Syrie, etc. Les rescapés de l’attentat du Bataclan à Paris témoignent de cette rhétorique victimaire entendue de la bouche des assassins : “c’est pour venger nos frères syriens”…

Par ailleurs, en soulignant les “injustices” vécues par une frange de la population musulmane en Europe, une “vérité islamique” est propagée dans certaines mosquées, sur des sites internet spécifiques ou via les réseaux sociaux, justifiant le recours à la violence. Il s’agit d’une lecture simpliste et manichéenne du monde mais qui, présentée avec les habits de la religion, fait parfois mouche. L’acte destructeur est alors présenté comme “juste” et suivi d’une récompense à la hauteur de l’exploit pour la famille de l’assassin et pour lui-même… notamment dans l’au-delà. Ces éléments se retrouvent au cœur de la propagande d’un mouvement comme Daech.

Comprendre la psychologie des auteurs d’actes terroristes, le rôle du groupe dans lequel ils évoluent, décoder les discours propagés, connaître l’interprétation littérale des textes sacrés, etc., c’est approcher le processus qui mène au radicalisme.


* L’équipe se compose à l’heure actuelle du Pr Michaël Dantinne, de Serge Garcet, Vincent Seron, Pierre Thys, Alain Grignard, André Dumoulin et David Stans.

Kamikazes, attentats-suicides et crimes de haine

Après-midi d’étude, le jeudi 20 octobre à 12h30, à la Cité Miroir, place Xavier Neujean, 4000 Liège.

Informations et inscriptions, tél. 04.366.31.59, courriel j.debroux@ulg.ac.be, site www.cetr.be



Propos recueillis par Patricia Janssens
Photos : J.-L. Wertz
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