Novembre 2016 /258

Du CETA

Carte blanche à Philippe Vincent

Les tribulations récentes concernant le refus puis l’acquiescement votés par plusieurs parlements fédérés de Belgique afin d’accorder des délégations de pouvoirs au gouvernement fédéral pour signer l’Accord économique et commercial global (Comprehensive Economic and Trade Agreement, CETA) entre l’Union européenne et le Canada ont fait couler beaucoup d’encre. Thuriféraires du libre-échange et Cassandres des délocalisations et autres maux qu’entraînerait la signature de l’accord se sont violemment opposés sur les bienfaits ou les défauts supposés de celui-ci.

Qu’est-ce que le CETA ? Les négociations ont débuté en 2009. Leur objectif est la conclusion d’un accord qui verrait la suppression de tous les obstacles aux échanges entre les deux partenaires. Limiter le CETA à une simple zone de libre-échange serait toutefois bien naïf. Les droits de douane appliqués aux échanges entre l’Union européenne et le Canada sont déjà très bas, et leur suppression n’aurait guère d’impact sur les courants commerciaux entre les parties (à l’exception peut-être de certains produits agricoles). Avancer l’argument des emplois qui seraient créés à la suite de sa mise en œuvre est par conséquent peu pertinent.

L’essentiel du CETA réside ailleurs. Les dispositions pricnipales de l’accord concernent les investissements et les réglementations techniques. La question des investissements est fondamentale à l’heure actuelle. Près de 3000 accords bilatéraux forment une toile d’araignée universelle les réglementant. Le CETA ne serait dès lors qu’un accord de plus, mais il soulève des questions.

Le secteur des investissements est le seul où les litiges opposent systématiquement des entreprises et des États (ISDS : Investor-State Dispute Settlement). Traditionnellement, les entreprises répugnent à comparaître devant les tribunaux de l’État d’accueil, par crainte notamment d’une corruption potentielle des juges, ou des pressions que leur gouvernement pourrait faire peser sur eux. Les traités bilatéraux de promotion des investissements prévoient dès lors souvent le recours à l’arbitrage, procédure réputée plus impartiale, pour la résolution des différends.

Le principal défaut d’une procédure d’arbitrage est son coût très élevé. Par ailleurs, son acceptation implique une renonciation de l’État d’accueil à une part de sa souveraineté, et une reconnaissance du caractère potentiellement corruptible de son système judiciaire. Afin de mieux faire passer la procédure d’arbitrage auprès de ses citoyens, l’Union européenne a incorporé dans l’accord la mise en place d’un Tribunal spécifique, composé de juges professionnels, avec possibilité d’appel, pour le règlement de ce type de litiges. L’exemple de la procédure de règlement des différends en vigueur au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est souvent avancé. On peut toutefois s’interroger sur l’intérêt de prévoir une telle procédure spécifique pour trancher les litiges liés aux investissements. Les deux parties sont-elles si méfiantes vis-à-vis de leurs systèmes judiciaires respectifs ? Ne faut-il pas plutôt y voir un coûteux effet de mode dicté par les entreprises soucieuses de se soustraire au contrôle judiciaire national ? La question mérite d’être posée. Si le CETA et le TTIP devaient entrer en vigueur dans leur état actuel, l’échec des négociations du tant décrié “Accord multilatéral sur les investissements” (AMI) en 1997 serait oublié. Il est paradoxal que ce point soit si peu soulevé par leurs détracteurs.

Le second secteur fondamental de l’accord est la coopération réglementaire. Le CETA prévoit la mise en place d’un Forum pour réduire les différences réglementaires entre les parties. Ce Forum se voit à première vue reconnaître une fonction purement consultative. Les parties s’engagent cependant à négocier afin d’harmoniser leurs normes (sanitaires, environnementales, etc). Des doutes ont par conséquent été émis quant aux risques de nivellement par le bas des réglementations applicables par les parties, même si celles-ci ont fait assaut de déclarations pour affirmer que ce ne serait pas le cas.

Pourquoi le CETA ? Les négociations au sein de l’OMC, dont l’objectif est précisément la libéralisation des échanges, sont actuellement au point mort. Elles bloquent notamment sur la question agricole, où les points de vue des pays du Nord (UE et États-Unis) et du Sud semblent difficilement conciliables. D’où la tentation de recourir à des accords bilatéraux, dont le CETA et le TTIP, en négociations avec les États-Unis, sont les deux exemples les plus frappants.

Fallait-il refuser le CETA ? L’argument des emplois qui seraient induits par la signature du CETA n’est guère probant, en raison du faible niveau des obstacles subsistant au commerce entre le Canada et l’Union européenne. Celui selon lequel cette dernière perdrait toute crédibilité pour la conclusion de traités commerciaux futurs l’est tout aussi peu. L’Union européenne reste un partenaire incontournable du commerce mondial. Le nombre d’accords qu’elle a négociés et conclus ces dernières années (avec le Vietnam, l’Inde, la Nouvelle-Zélande, etc.) démontre à l’envi l’intérêt de nos partenaires commerciaux à signer des accords. Un retard pris dans la signature du CETA ne serait guère dramatique, comme ne le sera pas le retard annoncé dans les négociations du TTIP avec les États-Unis. Ceux-ci ont autant intérêt (voir plus)  que l’Union à signer de tels accords. Les négociations vont se poursuivre, et il est important que les textes soient amendés jusqu’à ce qu’ils soient respectueux de la souveraineté des États et des intérêts des populations. À défaut, celles-ci risqueraient de perdre encore un peu plus confiance dans leurs institutions, nationales et européennes, confiance déjà fort mise à mal ces dernières années.

VincentPhilippeQuelle est la prochaine étape ? La signature du CETA ne marque pas la fin de la procédure, loin s’en faut. Il n’entrera en vigueur qu’une fois les ratifications des 28 acquises. Les parlements fédérés réticents disposent dès lors encore d’une possibilité d’empêcher l’entrée en vigueur de l’accord. Or, la déclaration émise par la Belgique dit explicitement que “Sauf décision contraire de leurs Parlements respectifs, la Région wallonne, la Communauté française, la Communauté germanophone, la COCOF et la Région de Bruxelles-Capitale n’entendent pas ratifier le CETA sur la base du système de règlement des différends entre investisseurs et parties, prévu au chapitre 8 du CETA, tel qu’il existe au jour de la signature du CETA”. Dans le même temps, le Premier ministre se réjouissait que le CETA n’avait pas été changé d’une virgule. On risque fort de se retrouver avec exactement les mêmes blocages au moment du vote des normes d’assentiment. Et cette fois, ce n’est pas un simple accord intra-belge qui permettra de se sortir du problème.

Philippe Vincent
chargé de cours adjoint en faculté de Droit, Science politique et Criminologie

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