Décembre 2016 /259

Carte blanche à François Polet

Mobilisations étudiantes sous contrainte autoritaire

Tous les signaux sont au rouge en République démocratique du Congo, à quelques jours de la fin du deuxième mandat de Joseph Kabila, le 19 décembre. Le report des élections (“glissement”) pour cause de contraintes techniques ne passe pas auprès de la majorité de la population. L’éventualité d’un soulèvement de la jeunesse est le principal caillou dans la botte des dirigeants qui multiplient les initiatives pour tuer dans l’œuf toute velléité de mobilisation. Le rôle de “la rue” est considéré par les observateurs comme la principale inconnue de l’après 19 décembre.

Comment se mobiliser collectivement dans un contexte autoritaire comme celui du Congo de Kabila ? Ce questionnement est au cœur d’une thèse de doctorat que nous avons entamée il y a deux ans en faculté des Sciences sociales. Notre recherche porte plus spécifiquement sur les modalités de la mobilisation étudiante à l’université de Kinshasa (Unikin).

Joseph Kabila n’est pas populaire à l’Unikin. En cause, d’abord, les conditions de vie et d’études de l’étudiant, marquées par les difficultés quotidiennes pour se déplacer, se loger, manger, trouver une place dans l’auditoire, s’acquitter des frais d’inscriptions (350 dollars), de syllabus (20 dollars)... et les abus de pouvoir de certains assistants et chefs de travaux. Beaucoup de sacrifices pour un diplôme dont l’utilité est incertaine tant les relations déterminent l’accès aux rares emplois. La déchéance du statut de l’étudiant – “élite de la nation” au destin contrarié – est mise en parallèle avec le déclin du pays : malgré ses immenses richesses, celui-ci va à vau-l’eau; la population souffre, le Congolais n’est plus respecté chez lui. D’après les étudiants, « ceux qui ont vécu la colonisation disent que c’était mieux ».

Aux yeux des étudiants, ces maux trouvent leur source dans l’inversion des valeurs qui régissent le système politique, où la course à l’enrichissement personnel au détriment de l’intérêt général est devenue la règle (« Au Congo, si vous volez, on fait de vous un grand. »). Dès lors, la volonté de l’équipe de Kabila d’outrepasser les délais constitutionnels est doublement inacceptable : en ce qu’elle constitue une infraction de la règle du jeu démocratique et en ce qu’elle implique la poursuite de la perte de dignité.

Malgré l’empilement de frustrations, le campus de l’Unikin est relativement calme. Ce paradoxe n’est pas le reflet de l’apolitisme ou de la passivité de l’étudiant; il dérive d’une combinaison de mécanismes de démobilisation consciencieusement entretenus par les autorités de l’Université. Tout d’abord, officiellement, “l’université est un espace non politique”. Un argument avancé pour interdire toute mobilisation à caractère protestataire – même sur des enjeux strictement étudiants – mais qui laisse le champ libre à la prolifération des associations culturelles, entretenant des relations clientélistes avec les politiques sur des bases ethniques. Une politique active de surveillance et de répression est mise en œuvre pour veiller à l’application de ce mot d’ordre. Elle fait interagir la hiérarchie de l’université, les représentants étudiants (inféodés aux autorités), la garde universitaire et l’agence nationale de renseignements.

Ce dispositif n’empêche pas le campus d’être un lieu de politisation informelle, à travers les discussions entre étudiants, dans les blocs de logements ou à la sortie des auditoires, sur les prises de position du pouvoir et de l’opposition, assidûment suivies à la radio ou la télévision. Mais la traduction de cette politisation en action collective revendicative est compliquée. « Dès que vous osez structurer, parmi vous il y a des agents du renseignement, il y a des informations qui vous échappent et on vous mate », constatent avec dépit les étudiants. Les coûts, notamment psychologiques, de la mobilisation sont particulièrement élevés à l’Unikin : échecs aux examens, intimidations physiques, menaces d’exclusion, arrestation et nuit au cachot de l’université, ou enlèvement par l’agence de renseignements. De même que les bénéfices de la démobilisation, qui prennent la forme de sommes d’argent offertes aux meneurs qui retournent leur veste.

PoletFrançois

Le niveau d’organisation autonome du monde étudiant est donc faible et fragmenté. Les actions revendicatives sont sporadiques, en réaction à des événements ponctuels (coupure d’eau, augmentation des frais, etc.). Les embryons d’organisation reposent sur des réseaux d’amitié, des petits groupes d’affinité, dont le fonctionnement secret et codé n’est pas sans rappeler celui des réseaux résistants durant l’Occupation. Les réunions ont lieu secrètement, dans les chambres d’étudiants ou en dehors du campus. La sensibilisation repose sur le bouche à oreille et les réseaux sociaux. Les antennes clandestines des partis d’opposition jouent un rôle important dans les mobilisations sur des enjeux politiques nationaux, car elles ont accès à certaines ressources (informations, tracts, argent).

Si le démarrage des actions est risqué, la contestation peut néanmoins prendre de l’ampleur une fois dépassée une certaine masse critique, par un effet de désinhibition collective. C’est ce qui s’est passé en janvier 2015, lorsque les étudiants de l’Unikin ont joué un rôle déclencheur dans le soulèvement populaire contre la réforme de la loi électorale, principale reculade de Kabila à ce jour. Un phénomène de contagion protestataire dont le régime craint la réédition à l’approche du 19 décembre.

François Polet
doctorant en sociologie, Pôle-Sud (Pôle liégeois d’études sur les sociétés urbaines en développement)

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