Décembre 2016 /259

Plaidoyer pour une langue précise

Billet d’Humeur

« Au revoir Monsieur. Merci de reprendre rendez-vous en février. » « Pas de souci, Docteur, merci. » “Pas de souci” ? Cette expression est utilisée depuis une dizaine d’années. Avec profusion, c’est le moins que l’on puisse dire. Or, un souci est, selon le dictionnaire, un “état de l’esprit qui est absorbé par un objet”. L’expression est pourtant employée à tort et à travers par les médias. Elle percole ensuite, petit à petit, dans le grand public et les réseaux sociaux. Aujourd’hui, on entend à la radio qu’ «il y a un souci sur l’autoroute »… Un esprit flottant sur l’E40 ?

Cet emploi massif de tournures de phrase incorrectes ou d’expressions dénuées de sens nous paraît nuisible. Nous sommes quelques-uns à estimer qu’il faut lutter contre ces excès, et pensions naïvement être isolés dans un combat sans espoir et dès lors bien désarmés. Que nenni ! L’Académie française – elle-même – partage notre avis.

“On entend trop souvent dire il n’y a pas de souci, ou, simplement, pas de souci, pour marquer l’adhésion, le consentement à ce qui est proposé ou demandé, ou encore pour rassurer, apaiser quelqu’un, souci étant pris, à tort, pour “difficulté”, “objection”. Selon les cas, on répondra simplement “oui” ou bien l’on dira “Cela ne pose pas de difficulté, cela ne fait aucune difficulté”, ou bien “Ne vous inquiétez pas, rassurez-vous.”* N’est-ce pas magnifiquement simple ?

Autre exemple, l’usage affreux du mot “citoyen” en tant qu’adjectif. Ici aussi, l’Académie – à notre grand soulagement et avec notre assentiment total – nous le déconseille. “Il est fait aujourd’hui un fréquent mais curieux usage du nom “citoyen”, qui devient un adjectif bien-pensant associant, de manière assez vague, souci de la bonne marche de la société civile, respect de la loi et défense des idéaux démocratiques. Plus à la mode que l’austère “civique”, plus flatteur que le simple “civil”, “citoyen” est mis à contribution pour donner de l’éclat à des termes jugés fatigués, et bien souvent par effet de surenchère ou d’annonce.”*

Rendons grâce à la sagesse et à l’esprit incisif des Immortels : évitons les surenchères et préférons le “parler vrai”. À ce propos – le lecteur admirera notre sens de l’enchaînement –, évoquons le cas de cette autre expression de “bobo en mal d’affection” : le “vivre ensemble”. Ici aussi, l’Académie s’insurge et nous rappelle avec force détails le danger qu’il y a dans l’excès de substantivation (sic). “Le français ne peut pas, contrairement au latin ou au grec, substantiver tous ses infinitifs. On dit le coucher, mais non le dormir. Si certains verbes substantivés peuvent parfois avoir un complément à l’infinitif (le savoir-faire, le savoir-vivre), on évitera d’avoir recours, comme tend à le faire une mode actuelle, à la substantivation de groupes formés d’un infinitif et d’un adverbe : on entend par exemple parler du bien mourir, mais le plus fréquent est le vivre ensemble, qui semble relever plus du vœu pieux ou de l’injonction que du constat. Faut-il vraiment faire de ce groupe verbal une locution nominale pour redonner un peu d’harmonie à la vie en société ?”* Pourquoi dès lors ne pas utiliser le terme de “cohabitation pacifique”, beaucoup plus correct? On ne va pas demander aux gens de vivre ensemble, grâce à Dieu, mais bien de se tolérer les uns les autres.

Que l’on nous comprenne bien : l’objectif n’est pas de nous poser en redresseur de torts, mais bien de plaider pour l’utilisation d’une langue précise et correcte parce qu’elle est le socle d’une bonne communication. L’Académie nous y encourage et nous en sommes fort aise.


* voir le site www.academie-francaise.fr

Prs Vincent Seutin et Michel Moutschen (ULg et CHU Liège) et Dr Didier Maassen (CHC).
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