Décembre 2016 /259

Paradis express

Entre 4 yeux


EischenJeanYvesEn bordure de l’esplanade des Guillemins, entre la gare et la tour des finances, s’érigera bientôt un nouvel “éco-quartier” aujourd’hui baptisé “Paradis express”. Le projet architectural a reçu un prix au Mipim 2016 dans la catégorie “ Best Futura Project”. Rencontre avec Jean-Yves Eischen, membre associé du Bureau d’architecture Greisch (BAG) ­– alumni, architecture, 1991 –, et avec le Pr Stéphane Dawans qui enseigne la sociologie urbaine et est par ailleurs vice-doyen à la recherche en faculté d’Architecture.

Le 15e jour du mois : Quelles sont les grandes lignes directrices du projet ?

Jean-Yves Eischen : La proposition est née d’une collaboration entre trois bureaux d’architecture – Jaspers & Eyers, A2M et BAG – et Befimmo, propriétaire du terrain. C’est ce dernier qui a lancé un concours d’architecture en 2013. L’objectif étant d’envisager la reconversion du quartier des Guillemins dans la cohérence du plan de développement des pouvoirs publics pour l’axe Guillemins-Médiacité. Notre priorité a été d’intégrer le futur îlot dans le maillage existant (et les constructions prochaines), considérant que le nouveau bâti ne doit en aucune manière constituer une barrière sur le site. Nous avons veillé à maintenir une continuité de l’espace public dans le périmètre imparti (une grande travée piétonne traverse l’îlot, reliant la rue de Serbie à la place des Franchises) et à favoriser une cohabitation harmonieuse avec les rues avoisinantes. Notre proposition est dès lors “couturée” en quelque sorte entre le neuf et l’ancien. En choisissant des gabarits progressifs entre la gare et la tour des finances, nous avons renforcé la continuité visuelle vers la Meuse.

Le 15e jour : Parlons de l’architecture…

J-Y.E. : L’architecture devait être novatrice : le quartier est compris entre deux édifices contemporains marquants et il fallait dès lors s’insérer avec justesse entre eux, tout en recomposant un visage neuf pour le quartier. La mixité des fonctions sera de mise : nous construirons environ 170 logements, un peu plus de 21 000 m2 de bureaux, 1100 m2 de surfaces pour l’Horeca ou des services et un peu moins de 400 m2 de commerces, le long de la future ligne de tram.
Le respect de l’environnement (au sens large) a été un fil conducteur dans notre réflexion : le nouvel îlot se caractérisera par des logements passifs, des espaces de bureaux modulables, une mobilité douce, des toitures végétalisées et des espaces verts accessibles au public, aménagés sur un sous-sol de parkings souterrains, etc. À l’heure où je vous parle, l’étude d’incidences du projet se termine. La demande du permis d’urbanisme devrait être déposée en décembre et les travaux commencer en 2018.

Le 15e jour du mois : Que pensez-vous des éco-quartiers ?

DawansStephaneStéphane Dawans : Le label “éco” m’interpelle toujours. Évidemment, il est impensable de nos jours de ne pas tenir compte de la dimension environnementale dans les nouvelles constructions. Préserver la Terre dans une optique de “développement soutenable” – c’est-à-dire en tenant compte des générations futures tant du point de vue écologique que social – constitue aujourd’hui un objectif inhérent à chaque projet, fort heureusement. Je ne remets donc pas en cause cette intention particulièrement louable. Mais pourquoi faut-il dès lors revendiquer ce label “éco” puisqu’il fait désormais partie du quotidien des architectes ? N’est-ce pas une façon de discriminer, de souligner que ces constructions sont “meilleures” que les autres ou, à tout le moins, dans l’air du temps ?

Le 15e jour : Quelles sont vos réserves ?

S.D. : D’une part, je suis attentif à une certaine récupération politique du vocable. Les préoccupations écologiques ont été intégrées dans tous les programmes des partis qui s’en revendiquent... parfois à bon compte : on plante quelques arbres et le tour est joué à peu de frais ! D’autre part (et peut-être plus fondamentalement), je pense qu’il ne faudrait pas que s’élève au cœur de la ville un espace protégé, un village autonome en quelque sorte, doublé d’un nouvel axe consacré aux affaires et à la culture qui exclut davantage qu’il ne relie (de la gare à la Médiacité en passant par la tour des finances et le musée de la Boverie). Il ne faudrait pas, me semble-t-il, favoriser l’“entre-soi” en aménageant un quartier “branché” accessible aux nouveaux bourgeois (bohêmes ou pas)… Or le risque de gentrification est réel, lequel mène souvent à une ségrégation sociale malvenue. Déjà le nom – “Paradis express” – me semble un slogan commercial plutôt connoté ! J’imagine qu’il fait référence et à la rue et à la gare. Mais il résonne comme un endroit réservé aux VIP.
Christine Ruelle (ingénieur-architecte urbaniste) l’a bien montré, récemment, dans sa thèse : comme le “chic et cher”, le label écologique peut renforcer l’effet de distinction et avoir tendance à disqualifier les quartiers existants ainsi que leurs habitants. À mon sens, il faut vraiment prendre garde à ne pas accentuer le sentiment de frustration auprès des habitants qui supportent, depuis de longues années, tous les travaux dans leur quartier…

Paradis Express

Conférence de Jean-Yves Eischen (Bureau d’architecture Greisch) et de Sebastian Moreno-Vacca (Bureau d’architecture A2M), le mercredi 14 décembre à 17h30, au complexe Opéra, salle Rita Lejeune, place de la République française 41, 4000 Liège.

* informations sur le site www.bagreisch.be




Propos recueillis par Patricia Janssens
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