Avril 2017 /263
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Dominique Lafontaine

L’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles

La Pr Dominique Lafontaine, présidente du département des sciences de l’éducation et de l’unité de recherche “évaluation et qualité de l’enseignement” est également directrice du service d’analyse des systèmes et des pratiques d’enseignement (Aspe). À ce titre, elle est la responsable belge francophone du Programme international de suivi des acquis (Pisa) des élèves de 15 ans. Rencontre à la veille d’une “grande conférence”, le 27 avril, organisée dans le cadre des 50 ans de la faculté de Psychologie, Logopédie et des Sciences de l’éducation.

Depuis l’an 2000, la Fédération Wallonie-Bruxelles collabore au cycle de l’enquête Pisa – une grande opération internationale à laquelle participent 72 pays – qui évalue dans quelle mesure les élèves de 15 ans ont acquis les compétences indispensables dans les trois domaines fondamentaux que sont la lecture, les mathématiques et les sciences. En 2015, 3594 jeunes répartis dans 105 établissements de la Fédération ont pris part à l’évaluation qui comportait un focus particulier sur les sciences.

Le 15e jour du mois : Vous avez analysé les résultats de l’enquête. Que faut-il en retenir ?

LafontaineDominiqueDominique Lafontaine : Depuis les débuts de l’enquête Pisa, mon équipe participe en effet à sa mise en œuvre et à l’analyse des résultats. En décembre dernier, nous avons adressé notre rapport de synthèse aux responsables politiques*.

L’enquête révèle, une fois encore, que les inégalités liées à l’origine sociale demeurent en Fédération Wallonie-Bruxelles parmi les plus importantes au sein des pays de l’OCDE. Les écarts de performances en fonction des écoles fréquentées et des parcours scolaires sont toujours très élevés. D’autre part, la proportion des élèves en retard scolaire reste l’une des plus élevées dans le panel des 72 pays représentés, ce qui pèse lourdement sur les évaluations.

En ce qui concerne les performances, les résultats en mathématiques et en sciences sont stables. Si les premiers sont à la hauteur de la moyenne des pays de l’OCDE, les résultats en sciences sont en-dessous. En Fédération Wallonie-Bruxelles, la proportion d’élèves plutôt faibles en sciences est un peu plus élevée que la moyenne observée dans les pays de l’OCDE (23,1 % au lieu de 21,2 %) et la proportion d’élèves très performants est moindre : 5,3 % contre 7,8%. On note d’ailleurs une érosion de la proportion d’élèves très performants dans les trois domaines. Par contre, et il faut le souligner, les résultats des jeunes “à l’heure” dans l’enseignement général ou des jeunes d’origine sociale favorisée se hissent au niveau des performances moyennes du Japon et de la Finlande.

Ce qui pose vraiment question dans l’édition 2015, c’est la lecture. Alors que les performances des élèves s’étaient sensiblement améliorées en 2009 et en 2012, elles se détériorent à nouveau significativement. Non seulement la proportion des élèves très faibles en lecture est repartie à la hausse, mais, étonnamment, les résultats des filles sont nettement moins bons. Même si leur moyenne reste supérieure à celle des garçons, leurs performances régressent et la proportion des filles dans le peloton des élèves faibles augmente. On note ce phénomène en Flandre également, mais pas dans les autres pays de l’OCDE.

Le 15e jour : Comprenez-vous le phénomène ?

D.L. : À ce stade, aucune explication réellement satisfaisante n’a pu être trouvée. Je continue de penser que l’amélioration notée en 2009 et en 2012 est liée à une réforme structurelle. À l’époque, la ministre Marie Arena avait modifié le 1er degré de l’enseignement secondaire. Les enfants étaient tous obligés de décrocher le Certificat d’études de base (CEB) pour continuer leurs études. Ceux qui ne l’avaient pas obtenu en 6e primaire étaient accueillis dans des classes “différenciées” du secondaire afin de renforcer de manière ciblée leurs compétences en français et en mathématiques. Ces décisions ont certainement permis de diminuer le pourcentage des élèves très faibles lors de l’enquête Pisa de 2012 (le taux de 28% avait été ramené à 18%).

Aucune réforme n’est intervenue depuis et il est donc difficile d’expliquer le recul en lecture des élèves en 2015 et, singulièrement, les piètres résultats des filles. Sauf à s’interroger sur le fait que, pour la première fois, l’enquête a été entièrement administrée sur ordinateur. Les filles seraient-elles moins à l’aise avec le support électronique ? Rien ne permet de le dire, d’autant que cette différence n’est pas observée dans les autres pays de l’OCDE. Il faut investiguer davantage…

Le 15e jour : Que pensez-vous du “Pacte pour un enseignement d’excellence” récemment présenté ?

D.L. : L’état des lieux qui préside au Pacte se nourrit de plusieurs enquêtes – dont le Pisa – et de multiples indicateurs. Pour ma part, j’ai été impliquée dans le groupe de travail sur “les inégalités sociales” qui comprenait également des enseignants, des syndicats, des associations de parents et des représentants des pouvoirs organisateurs, mais le texte final résulte, logiquement, d’une décision politique.

Pour répondre à votre question, je dirais que ce Pacte tient – enfin – compte des lacunes de notre système éducatif et, surtout, des inégalités sociales qu’il entretient. La décision d’augmenter le taux d’encadrement pour les petits de maternelle est très positive, car c’est là que débute le processus de socialisation et d’apprentissage. Renforcer les socles de compétence dans le primaire est également judicieux afin de mieux préparer les élèves à l’étape suivante. Dans le secondaire, le principe d’allongement du tronc commun, jusque et y compris la 3e année, récolte ma totale adhésion ! J’ai toujours plaidé pour qu’une majorité des cours de base soit dispensés à tous les élèves, sans créer de classes de niveau. Quasi tous les systèmes éducatifs ont aujourd’hui un tronc commun long (jusqu’à 15-16 ans) parce que, dans le monde actuel, les exigences sont plus élevées, et il faut du temps pour acquérir ce socle de savoirs communs avant de se spécialiser. Maintenant, il existe plusieurs manières d’organiser ce tronc commun et le défi est de ne pas se tromper, le risque étant de “faire pire que bien”.*

Si des pistes encourageantes font indéniablement partie du projet, le calendrier proposé pour la mise en place des mesures m’inquiète. L’objectif de diminuer le nombre de redoublements – beaucoup trop fréquents chez nous – est fixé à l’horizon 2030 ! C’est vraiment loin quand on connaît l’urgence de la situation : la moitié des élèves de 15 ans ont doublé au moins une fois (13% d’entre eux fréquentaient encore le 1er degré). En moyenne, dans les pays de l’OCDE, 12% d’élèves seulement ont doublé. Or la littérature scientifique prouve que le redoublement est inefficace pour l’élève et très onéreux pour la société. De même, le tronc commun “polytechnique” envisagé dans le secondaire ne sera mis en place que dans dix ans… alors qu’il s’agit d’un changement essentiel et pour les élèves et pour les professeurs. Bien sûr, il faut se donner le temps, mais une échéance si lointaine génère du stress dans le corps enseignant qui devra assumer une transition très longue. D’autant qu’à terme, c’est d’une petite révolution qu’il s’agit : remplacer un mode d’éducation fondé sur la sanction par un système qui repose sur l’émulation, l’envie de découvrir et de faire des choix positifs plutôt que par défaut…

* Une note de synthèse est accessible sur le site www.aspe.ulg.ac.be

Pisa expliqué à tous : des pistes pour améliorer l’enseignement en Belgique francophone

Conférence par la Pr Dominique Lafontaine, le jeudi 27 avril à 18h30, au complexe Opéra, galerie Opéra, place de la République française 41, 4000 Liège.

* site events.ulg.ac.be/fplse50ans

 

Propos recueillis par Patricia Janssens
Photos : J.-L. Wertz
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