Mai 2017 /264

Recours aux sources

Parcours d'un alumni

Il paraît que seul le chemin compte, et non la destination. Aboubakry Sow Njaparta de son nom d’artiste, qui vient d’obtenir le titre de docteur en sciences sociales, ne dira pas le contraire. Même si l’aboutissement de cinq années de recherches pour l’écriture et la défense de sa thèse intitulée “Musique et plaisanterie. Ethnographie de trois groupes sociaux (coolooji, ñeeñbe et mbiruuji) à Djéwol (Mauritanie)” provoque évidemment un sentiment de soulagement, c’est avec ferveur, musique et couleurs qu’il parle de ses recherches et de sa passion. Car Sow Aboubakry a réussi à conjuguer sa passion pour la musique avec ses recherches en anthropologie pendant son parcours universitaire. Son sujet de thèse est ainsi abordé de manière réflexive : « J’ai étudié des groupes sociaux à partir de mon parcours de musicien, ce qui me place donc dans un parti pris d’observation participante. »

Traditions musicales

AbouC’est en 1999 qu’il arrive en France avec un visa étudiant pour se consacrer à l’étude de la philosophie, à Nice, jusqu’en 2001. En 2005, il demande asile en Belgique et reçoit sa carte de séjour en 2009. Quatre ans plus tard, en 2013, il obtient la nationalité belge. Quatre ans plus tard, à nouveau, il est le premier docteur en sciences politiques et sociales (anthropologie) de Mauritanie.

Pendant cinq années, sous la direction d’Élodie Razy du laboratoire d’anthropologie sociale et culturelle de l’ULg, il étudie l’ethnologie de trois groupes sociaux – les coolooji, les ñeeñbe et les mbiruuji – de son village mauritanien d’origine en portant une attention particulière à leur musique et la “parenté à plaisanterie”. Les coolooji sont des contestataires sociaux, les mbiruuji des lutteurs et ces deux sous-groupes sont en conflit avec les ñeeñbe, des médiateurs sociaux. S’ils se retrouvent tous à l’occasion de diverses fêtes et mangent ensemble, ils ne chantent pas à l’unisson. Chacun de ces groupes possède effectivement des chants spécifiques, représentatifs de leur catégorie sociale ainsi que de leur généalogie, ce qui fait dire à Sow Aboubakry : « Le morceau de musique trahit d’emblée votre provenance car il correspond à un métier : celui de pêcheur, de forgeron, de guerrier… Si les forgerons peuvent partager un repas avec les pêcheurs, jamais ils ne chantent ni ne jouent ensemble. » Cette dichotomie musicale fut au cœur du parcours de Sow Aboubakry puisqu’il provient d’une famille de “dimo” que l’on pourrait traduire par “noble”, sans tradition musicale. Il n’était donc pas de bon ton qu’il prenne les instruments. « Tout comme les castes en Inde ne pouvaient se mélanger, je ne pouvais pas chanter avec les pêcheurs ni avec les lutteurs… Toute la musique que je fais, je l’ai apprise à l’étranger », confie-t-il.

Si son parcours de musicien lui confère, à nos yeux, une légitimité, pour mener à bien ses recherches, il n’en va pas de même en Mauritanie puisqu’il y est connu comme un descendant de la noblesse locale. C’est la “parenté à plaisanterie” qui lui permettra de montrer patte blanche auprès des différents groupes de musiciens qu’il souhaite aborder. C’est cela qui constitue l’approche tout à fait inédite de sa thèse : la “parenté à plaisanterie” (ou jogging relationship) est bien connue des anthropologues parce qu’elle autorise et codifie la rencontre de deux personnes de groupes sociaux, de familles différentes, ou encore de villages, de régions distinctes ; elle peut être basée sur une similitude de noms, de métiers, tout ce qui peut permettre à deux personnes de faire connaissance en partant du bon pied. Mais, ce que Sow Aboubakry met en exergue, c’est que cette “parenté à plaisanterie” se doit d’être activée ou désactivée par un procédé connu sous le nom de “yano”. « Le yano permet de créer une nouvelle relation, fait-il observer. Et c’est important de le savoir parce que sinon la parenté à plaisanterie ne peut opérer. Les peuples africains se déchirent et l’on pense à la réintroduction de cette parenté à plaisanterie comme pansement effectif. Or cela ne marchera qu’au prix de la reconnaissance du yano comme vecteur.»

Lien social

S’il a défendu sa thèse le 17 mars dernier, c’est déjà en 2012 que sortit son dernier album intitulé “Doktan Kotow”, en collaboration avec une pléthore d’artistes internationaux. Un titre qui signifie “recours aux sources” et représente un travail de longue haleine avec les musiciens et un jeune producteur belge qui accepta de conserver l’esthétique musicale africaine. « Les musiques traditionnelles africaines ont l’avantage d’exprimer divers sentiments liés à la vie réelle et, en même temps, restent ouvertes à l’inconnu, au mystère et surtout à la spiritualité », reconnaît-il. L’artiste est donc un médiateur et la musique un lien social.

Parsemé de musicalité, de couleurs africaines et occidentales, de rencontres académiques, le parcours de Sow Aboubakry raconte combien la vie et la musique sont intimement rythmées.


Aliénor Petit
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