Mai 2017 /264
Évaluer les performances complexesCarte blanche à Pascal Detroz
Évaluer des étudiants à l’Université ou en Haute École est une lourde responsabilité. Au travers des notes distribuées, ce sont des rêves, des aspirations, un parcours universitaire, une vie professionnelle qui se constituent ou qui, dans certains cas plus négatifs, sont altérés ou détruits. L’édumétrie s’est intéressée, depuis plus de 70 ans, à la qualité des examens et des épreuves scolaires. Une conclusion est redondante et sans concession : les biais dans la mesure récoltée, autrement dit dans le score attribué aux étudiants, sont nombreux et variés et la part d’erreur y est signifiante. Il y a donc des enjeux sociaux importants – d’équité notamment – à proposer des dispositifs d’évaluation robustes reflétant avec exactitude les capacités réelles des étudiants. Pour analyser la qualité de ces dispositifs, les édumétriciens ont recours à quelques “outils”. Le plus important est celui de validité de l’épreuve. Il s’agit de vérifier le caractère approprié des inférences, notamment des décisions de réussite ou d’échec, effectuées à partir des résultats de l’évaluation. En pédagogie universitaire, historiquement, lorsque les apprentissages visés se structuraient selon l’approche par objectifs, l’idéal à atteindre était connu. Les objectifs généraux se déclinaient en objectifs intermédiaires, puis en objectifs spécifiques qui, par définition, devaient être observables et mesurables. Pour réaliser des inférences de qualité, l’enjeu pour les évaluateurs était dès lors de prélever un échantillon représentatif de l’ensemble des tâches mesurant les objectifs spécifiques. À partir de cette idée centrale s’est construite une série de prescrits : l’examen doit couvrir l’ensemble de la matière et l’ensemble des processus cognitifs visés par le cours ; seuls les objectifs spécifiques ayant été ciblés par un apprentissage peuvent être évalués ; augmenter le nombre d’épreuves ou de questions (afin d’augmenter la taille de l’échantillon) est opportun… Certes l’évaluation des étudiants dans l’enseignement universitaire respectait parfois peu ces principes, mais ils étaient connus et pouvaient guider et éclairer l’action des enseignants dans leurs choix évaluatifs. Ces dernières années, le travail des évaluateurs s’est considérablement complexifié. L’enseignement universitaire a subi une profonde mutation. Avant d’être structurelle par la mise en application du décret paysage, elle a été avant tout conceptuelle. En effet, l’approche par objectifs ayant atteint ses propres limites et, sous l’impulsion d’exigences sociétales nouvelles envers l’Université, un nouveau vocable s’est érigé en mantra dans nos institutions. Qu’il s’agisse de “compétences”, de “performances complexes”, de “soft skills”, d’“apprentissages authentiques”, ces concepts ont pour point commun de viser un apprentissage holistique, contextualisé, intégré et multidisciplinaire. L’idée sous-jacente est d’atteindre un profil “de sortie” de l’étudiant – axé généralement sur un référentiel de compétences – répondant le plus souvent aux exigences d’une intégration professionnelle future. Cette mutation a percuté notre manière d’envisager l’enseignement. Une pédagogie axée sur l’approche par compétences s’est développée dans certains programmes. D’autres ont mis en place des activités intégratrices à différents moments de la formation. De nombreux enseignants, quant à eux, proposent aujourd’hui des activités axées sur l’acquisition de soft-skills alors que les milieux professionnels sont de plus en plus convoqués dans nos enseignements… Toutes ces évolutions, souvent très pertinentes, se confrontent toutefois aujourd’hui aux limites de nos connaissances dans le domaine de l’évaluation. Les principes ayant été à la base de l’édumétrie s’accommodent relativement mal d’une évaluation dont les dispositifs se complexifient et qui doit, elle aussi, devenir authentique, holistique, intégrée et multidisciplinaire. Jacques Tardif (2006), qui a grandement influencé la diffusion des compétences dans l’enseignement supérieur – et particulièrement à l’ULg – écrit à ce propos : « Les exigences de l’évaluation des compétences sont nombreuses et elles posent des défis de taille. D’aucuns pourraient dès maintenant penser qu’une telle entreprise est impossible étant donné les théories et les instruments développés à ce jour dans le domaine de l’évaluation des apprentissages. » Dix ans plus tard, le défi est toujours à relever. Les modèles de l’évaluation changent certes peu à peu. Dans les écrits, la focale se place aujourd’hui sur une évaluation porteuse de sens, émancipatrice, axée sur une rétroaction favorisant les apprentissages, partenariale, prenant en compte la complexité des apprentissages visés par l’enseignement. C’est une évolution saine et utile, mais, dans le contexte de l’enseignement supérieur au sein duquel l’avenir des étudiants dépend de la note finale, on est en droit de s’inquiéter du fait que ces modèles en gestation se structurent sans préoccupation particulière quant à la qualité de la mesure. Une édumétrie adaptée à ce contexte spécifique reste donc, si pas à construire, à tout le moins à peaufiner. Elle devrait viser à associer des enjeux vertueux (telles la recherche de sens et l’émancipation) à des enjeux pragmatiques (limiter l’erreur de mesure dans la note finale). Combinatoire, articulée, prenant en compte la spécificité des contextes disciplinaires, cette édumétrie se donne déjà à voir dans les pratiques concrètes de certains enseignants mettant en place des dispositifs d’évaluation innovants, performants et adaptés aux nouvelles exigences de l’enseignement supérieur. C’est en observant et analysant en contexte ces pratiques évaluatives émergentes que des modèles alternatifs, plus efficaces et en phase avec le défi actuel, seront en mesure d’émerger et de se diffuser. Pascal Detroz
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