Décembre 2017 /269
Les dessous de MagritteFin du mystère autour de la toile de Magritte intitulée “La pose enchantée”. La quatrième et dernière partie vient d’être découverte sous une autre composition du maître grâce au travail réalisé par le Centre européen d’archéométrie de Liège, en collaboration avec le Musée Magritte de Bruxelles, dans le cadre du projet “Magritte on practice”. Image : © 2017-Succession René Magritte c/o SABAM-ULiège-MRBAB “Dieu n’est pas un saint” et il cachait un secret ! En effet, c’est sous cette œuvre de René Magritte de 1935 que la dernière partie de “La pose enchantée” a été retrouvée. Cette découverte met fin à une énigme de plus de 80 ans puisque la trace de cette peinture importante était perdue depuis 1932. C’est à partir de 2013 que le tableau commence à refaire surface. D’abord au Musée d’art moderne de New York, le Moma, lorsque la radiographie par rayons X pratiquée sur une autre toile du surréaliste belge, “Le Portrait”, permet de mettre à jour la partie supérieure gauche de “La pose enchantée”. Puis à Stockholm sous “Le modèle rouge” et à Norwich sous les couches de peinture de “La condition humaine”. Ces découvertes sont cohérentes avec ce que l’on sait de la vie du peintre et de ses difficultés financières en particulier. Il aura ainsi été contraint, comme beaucoup de ses contemporains, de se contenter des supports disponibles, allant même jusqu’à peindre sur des bouteilles ! Il avait pris également l’habitude de réutiliser le support de ses propres toiles, soit par manque de matériel et de moyens, soit parce qu’il considérait que sa peinture ne correspondait plus à ce qu’il avait envie de représenter. « D’un point de vue stylistique, “La pose enchantée” est très proche des nus féminins néo-classiques dépeints par Picasso dans les années 1920 », observe David Strivay, directeur du Centre européen d’archéométrie et chargé de cours à l’université de Liège. TECHNIQUES D’IMAGERIEUne chose est sûre : il ne s’agit là que d’un début, tant les techniques scientifiques d’imagerie et d’analyse des œuvres se sont perfectionnées depuis les premières utilisations de la radiographie par rayons X. « Aujourd’hui, les développements récents des techniques d’analyse et d’imagerie permettent de réaliser des recherches de façon non invasive et sans devoir déplacer les œuvres », précise Catherine Defeyt, également chercheuse au centre d’archéométrie. Car l’archéométrie permet de révéler de nouvelles informations sur les techniques utilisées par un artiste ; elle forme le point de jonction entre trois grands axes de recherche : l’archéologie, l’histoire de l’art et la conservation du patrimoine. Dans ce domaine, le Centre européen d’archéométrie – membre de la nouvelle unité de recherche art, archéologie, patrimoine – est devenu un acteur incontournable et se trouve grandement sollicité en Belgique et ailleurs dans le monde. Fondé en 2003, il s’est spécialisé dans l’étude du patrimoine culturel mobilier et immobilier. Au sein de l’ULiège, il organise même un master en archéométrie, unique en Belgique francophone. Fort de sa collaboration avec le musée de La Boverie de Liège notamment, le centre a pu élargir le champ de ses recherches à l’art moderne pour lequel ce type d’analyse avait été moins utilisé en comparaison avec l’art ancien. « Nous développons très fort en ce moment les recherches en art moderne et contemporain. Nous avons ainsi beaucoup travaillé sur Picasso et sa période bleue comme “La famille Soler” ou encore sur Gauguin. Nos recherches en art contemporain nous amènent à nous intéresser aussi à des œuvres en extérieur, par exemple les sculptures du Musée en plein air ou des peintures soumises aux dégradations dues aux intempéries et au climat », reprend David Strivay. MAGRITTE ON PRACTICEQuant à Magritte, il ne pouvait pas ne pas faire l’objet d’une étude à part entière. C’est ce qui a donné naissance au projet “Magritte on practice” en 2016, à l’initiative du Centre européen d’archéométrie. Il instaure une collaboration approfondie avec le musée de Bruxelles, dépositaire de la plus vaste collection du monde d’œuvres de René Magritte. Au total, ce ne sont pas moins de 42 peintures à l’huile et de 21 gouaches réalisées entre 1921 et 1963. L’objectif est de jeter un nouvel éclairage sur l’œuvre du peintre, sur sa pratique, sur des œuvres de jeunesse inédites ou disparues, et sur les causes des altérations touchant de manière récurrente la couche picturale de certaines toiles de jeunesse. Image : © 2017-Succession René Magritte c/o SABAM-ULiège-MRBAB « Au-delà de la possibilité de retrouver des œuvres de jeunesse disparues, il s’agit aussi d’appréhender l’œuvre de Magritte par le prisme de sa matérialité. Ceci afin de cerner au plus près le processus créatif du peintre et de découvrir l’origine des altérations atypiques qu’ont en commun plusieurs tableaux importants exposés au musée Magritte », explique Catherine Defeyt, responsable du projet. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, de telles analyses ont été peu pratiquées sur les toiles de Magritte. Or, ces techniques ont beaucoup évolué. En premier lieu, elles sont désormais effectuées in situ grâce à de nouveaux outils mobiles développés au sein du Centre d’archéométrie. Ceci présente le double avantage de ne plus devoir, d’une part, accomplir des prélèvements qui endommagent l’œuvre et, d’autre part, de réaliser des économies substantielles pour les musées qui ne doivent plus organiser son acheminement jusqu’au laboratoire. Par ailleurs, en plus des imageries classiques en photographie haute-résolution, sous ultraviolet, infrarouge et en radiographie X, des techniques comme la fluorescence de rayons X, les spectroscopies infrarouges et Raman ainsi que l’imagerie hyperspectrale sont devenues des outils indispensables pour la compréhension d’une œuvre. Cette évolution rend possible l’analyse non invasive de la distribution des éléments chimiques comme le fer, le plomb, le zinc, le chrome, etc. « C’est vraiment une analyse image par image des éléments, détaille le directeur du centre d’archéométrie. De cette façon, nous pouvons reconstruire la distribution des pigments. C’est ainsi que nous avons pu reconstruire une version colorée de “La pose enchantée”. Ce n’est possible qu’avec cette technique qui a été développée à Liège et qui est très récente. » Une telle sophistication contribue aussi à la qualité des expertises et renforce les chances de détecter les faux. Le deuxième axe du projet “Magritte on practice” vise une meilleure conservation des œuvres. « On constate une altération des pigments à la surface des tableaux. Si nous parvenons à en comprendre le processus, il devient possible de remédier à cette altération. Nous cherchons à développer des techniques curatives », révèle Catherine Defeyt. Enfin, le troisième axe se concentre sur l’histoire artistique, sur ce que Magritte a choisi de faire disparaître de lui-même. « “La pose enchantée” qu’il a découpée en est une illustration. Il a ainsi utilisé ces quatre parties pour faire quatre tableaux supplémentaires. Cela fait partie de l’histoire de l’art de Magritte. Pourquoi a-t-il choisi cette toile et pas une autre ? S’est-il servi de ce qu’il avait déjà peint pour sa nouvelle œuvre ou bien a-t-il réalisé quelque chose de tout à fait nouveau ? On voit qu’il s’est appuyé sur la quatrième partie du tableau pour peindre “Dieu n’est pas un saint”. » Image : ULiège - MRBAB POURQUOI ?Image : René Magritte, La page blanche, 1969 © Ch. Herscovici, avec son aimable autorisation c/o SABAM Belgium Nul doute que la suite sera riche en découvertes. En effet, à ce jour, sur les 42 peintures à l’huile, seules 18 ont été analysées et l’ensemble des gouaches reste encore à explorer. Les enseignements sont déjà nombreux, tant il est vrai que les techniques d’imagerie sondent en profondeur le dessous des toiles, offrant par là des informations précieuses sur les changements de pratiques de l’artiste, voire sur ses “repentirs’. Ainsi, qui aurait pu percevoir que “Le personnage méditant la folie” de Magritte (1928) était tout simplement en train de bavarder à l’origine avec un autre personnage attablé en face de lui ? Aux historiens de l’art de comprendre le pourquoi d’un tel revirement chez le peintre. Même si, comme l’affirmait Magritte, “le pourquoi n’est pas une question sérieuse”. * www.news.uliege.be/Magritte et www.recherche.uliege.be/archeometrie
Ariane Luppens
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