Décembre 2017 /269
La chimie de l’extrêmeCITOS reconnu par Corning comme laboratoire de référence
Le laboratoire CITOS, dirigé par Jean-Christophe Monbaliu, vient d’être reconnu par Corning comme laboratoire de référence pour les technologies de réacteurs en flux continu. Le premier du genre en Europe. Davantage que cette reconnaissance bienvenue, c’est la technologie mise en œuvre qu’il faut souligner. Les industries chimiques nous ont habitués à des images de gigantisme : des infrastructures centralisées conçues pour la production de masse avec, pour caricaturer, des grosses cuves où les réactions chimiques s’élaborent en toute opacité. Technologie éprouvée, peu coûteuse, facile à utiliser, les réacteurs chimiques macroscopiques ont sans doute encore de beaux jours devant eux. Pourtant, une révolution est en marche ; elle passe par la technologie des réacteurs micro- et mésofluidiques. Fluidiques parce que les processus se déroulent en flux continu ; micro- ou méso-, selon leur dimensionnement interne allant de quelques dizaines à plusieurs centaines de microns. « C’est une révolution qui est née dans les laboratoires de génie chimique, explique Jean-Christophe Monbaliu, directeur du CITOS (Center for Integrated Technology and Organic Synthesis). Sous l’impulsion du Massachusetts Institute of Technology (MIT), cette technologie est devenue incontournable à l’heure actuelle pour l’étude de réactions de plus en plus complexes. L’aspect probablement le plus incroyable est de pouvoir assurer une production à l’échelle industrielle avec des réacteurs de plus en plus petits. » Ce qui, à première vue, paraît contradictoire : comment atteindre une production de masse à partir d’installations microscopiques ? Parce qu’au lieu de se dérouler dans un réacteur macroscopique au volume fini, les réactions de synthèse se produisent dans un volume potentiellement infini puisqu’elles continuent tant que le processus est alimenté. Et parce que les propriétés intrinsèques de ces réacteurs font que les procédés chimiques peuvent être facilement intensifiés, c’est-à-dire que l’on peut repousser les limites classiques de conditions opérationnelles. Résultat ? Un réacteur qui tient dans la main, transportable, mais l’équivalent en termes de productivité à un réacteur macroscopique conventionnel de plusieurs centaines de litres. LA PRODUCTION DE MÉDICAMENTSLes recherches du laboratoire CITOS sont symboliques des domaines dans lesquels ce procédé nouveau peut être appliqué. Le premier est la production de principes actifs pharmaceutiques, à la fois de petites molécules (comme la grande majorité des médicaments actuels) et des biomacromolécules (comme des peptides). « Nous visons à la simplification, à l’amélioration, mais surtout à la réduction de l’empreinte spatiotemporelle des procédés multiétapes, précise Jean-Christophe Monbaliu. Et la méthode par flux continu donne ici vraiment toute sa mesure. Nous arrivons à réaliser des séquences complexes en quelques minutes, au lieu de plusieurs heures, voire plusieurs jours. » L’aspect sécuritaire est un autre pan important du travail. Un avantage marquant de cette technologie est en effet la possibilité d’éviter l’isolation et le stockage de tout intermédiaire chimique, et donc de réduire considérablement la dangerosité associée à un procédé. C’est ce qu’on appelle le télescopage en flux : chaque étape individuelle n’est plus spatialement et temporellement déconnectée, mais se retrouve regroupée au sein d’un réseau fluidique, un peu à l’instar d’un circuit électrique intégré. « Le faible encombrement, la souplesse et la sécurité de la fluidique autorisent de rêver », continue Jean-Christophe Monbaliu. À quand des mini-usines portables et des outils de production personnalisée de médicaments ? « Nous y sommes déjà, avec des dispositifs de production de la taille d’une imprimante qui assurent quotidiennement des milliers de doses de principes actifs. » Ces technologies permettent aussi de combattre les ruptures de stocks en médicaments de plus en plus fréquentes, et très souvent liées aux schémas de production classiques. Deuxième thème de recherche de CITOS : la valorisation de la biomasse. La chimie actuelle est en effet essentiellement pétrosourcée (ses matières premières sont issues du pétrole). Dans le contexte environnemental présent, de nombreux chimistes s’intéressent à la valorisation de la biomasse. Un véritable défi car la biomasse est souvent associée à des mélanges très complexes, des substances très visqueuses ou des solides, ce qui rend l’implémentation dans des réacteurs fluidiques plus difficile. Néanmoins, les chercheurs liégeois ont réussi à développer des méthodes permettant de transformer des molécules biosourcées en molécules à haute valeur ajoutée. C’est le cas par exemple du glycérol, sous-produit de l’industrie du biodiesel et à ce titre devenu un déchet qu’ils sont parvenus à transformer en produit de base pour la pétrochimie, notamment en alcool allylique, point d’entrée vers l’industrie des polymères. REPOUSSER LES LIMITESTroisième domaine de recherche : l’exploration de nouvelles fenêtres de procédé. « La technologie micro-mésofluidique permet de dépasser très largement les conditions de température et de pression imposées par un équipement macroscopique, et donc d’utiliser en routine des conditions inédites ou considérées comme interdites ou inaccessibles, mentionne Jean-Christophe Monbaliu. Cela ouvre de nouvelles possibilités pour le procédé, et cela nous laisse également beaucoup de flexibilité pour accélérer considérablement les réactions. » De même, l’utilisation de molécules très réactives, voire explosives, ou toxiques devient possible sans danger puisque qu’elles sont immédiatement consommées dans le cours du processus. Le groupe a par exemple développé un nouveau procédé pour la fabrication du méthylphénidate – le principe actif de la Rilatine – utilisée pour traiter le déficit de l’attention et l’hyperactivité chez l’enfant. « Le procédé classique de production n’est pas capable de suivre la demande. Grâce à nos connaissances en chimie de l’extrême, nous avons pu utiliser uniquement des molécules explosives, donc riches en énergie, très réactives, à des températures extrêmes, tout en assurant une sécurité inégalée et une productivité en rupture. Nous l’avons fait jusqu’au niveau du pilote industriel », explique Jean-Christophe Monbaliu. Résultat ? Un petit réacteur portable de la taille d’un gros four micro-ondes de cuisine a produit en une journée l’équivalent de 300 000 doses, soit 4,5 kilos du principe actif ; par la voie classique, il faut plusieurs semaines pour y arriver avec un tel niveau de sécurité. Le groupe explore également l’utilisation de lumière (photochimie) à l’échelle pilote. « Nous avons la chance de regrouper à l’université de Liège des acteurs importants dans la thématique de la fluidique, avec un aspect interfacultaire très prononcé, précise encore Jean-Christophe Monbaliu. Les applications vont au-delà de la simple chimie et se retrouvent en médecine, en biologie, en physique, en agronomie et en sciences appliquées. Nous sommes les seuls en Belgique, et dans la plupart des universités européennes, à proposer un ensemble de cours et de travaux pratiques en master dans la thématique. Notre label Corning nous permet également de sensibiliser les plus jeunes chercheurs à ces technologies. »
Henri Dupuis
Photos : Jean-Louis Wertz (3') et Michaël Schmitz (1e, 2e)
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