December 2017 /269

Smart water

Pour découvrir des mines d'énergie

La production d’électricité au moyen d’énergies renouvelables a fait surgir le problème de son stockage. Comment, en effet, répondre à la demande si vent ou soleil sont absents ? Le projet wallon Smart Water veut apporter une réponse à cette question. L’ULiège y a joué un rôle moteur.

Pour stocker l’électricité et pouvoir en disposer à la demande, il y a les batteries. Et aussi les stations de transfert d’énergie par pompage (encore appelées centrales de pompage-turbinage). Le principe en est simple : prenez deux réservoirs d’eau à des altitudes différentes ; quand la demande en électricité est faible, vous actionnez des pompes et remplissez d’eau le réservoir supérieur ; lorsque la demande est forte, vous libérez cette eau vers le réservoir inférieur et, au passage, l’eau actionne des turbines qui produisent l’électricité demandée. De telles installations ne sont donc pas des producteurs nets d’électricité (il faut autant, sinon plus, d’énergie pour pomper l’eau que sa descente n’en produit !) mais des lieux de stockage d’électricité sous forme potentielle gravitationnelle. En Wallonie, la centrale de Coo fonctionne selon ce principe depuis le début des années 1970.

SmartWaterOù est alors la nouveauté du projet Smart Water lancé par la Wallonie en 2014 et qui arrive aujourd’hui à son terme ? « En Wallonie, explique Sébastien Erpicum, coordinateur des équipes de l’ULiège qui ont participé au projet, il n’y a plus d’espaces disponibles pour construire des paires de bassins artificiels situés à des altitudes qui diffèrent de préférence de plusieurs centaines de mètres. L’intérêt du projet était donc d’inventorier et d’étudier des sites miniers abandonnés qui pourraient jouer ce rôle. » Entendons par là aussi bien des carrières que des mines souterraines de charbon ou d’ardoise. L’idée est séduisante, car elle présente deux avantages. Tout d’abord, dans le pire des cas, il n’y a qu’un seul bassin – le supérieur – à construire, l’autre existant déjà (il pourrait même être possible d’utiliser des galeries de mine à des niveaux différents pour n’avoir aucun bassin à creuser). Ensuite, parce que cette utilisation serait synonyme de réhabilitation de sites aujourd’hui laissés à l’abandon.

PROBLÉMATIQUES

Trois équipes du département Urban and Environmental Engineering (UEE) de la faculté des Sciences appliquées ont participé au projet. Trois équipes qui reflètent bien les problèmes auxquels est confronté ce type de site pour l’usage – pas du tout prévu au départ – qu’on voudrait en faire. Le groupe de recherche Hydraulics in environmental and civil engineering (HECE) du Pr Michel Pirotton, dans lequel Sébastien Erpicum est chercheur, a étudié les écoulements dans les réseaux et les bassins. Cette partie hydrodynamique permet d’évaluer la propagation des débits dans les réservoirs morcelés, et donc le réalisme du projet, ainsi que l’évolution des pressions au cours du temps sur les parois, donnée indispensable aux autres équipes. Mais pas seulement. « Selon nous, un point important à prendre en compte est l’interaction entre l’eau et l’air dans les cavités souterraines, explique-t-il. Si vous injectez/pompez de l’eau à grand débit, il faut absolument prévoir des systèmes capables d’équilibrer les mouvements d’air qui naissent à ce moment. »

ArdoisiereL’étude hydrogéologique a été prise en charge par l’équipe du Pr Alain Dassargues. « Une mine ou une carrière ne sont pas des systèmes étanches. Il fallait donc étudier et modéliser l’interaction de l’eau injectée avec les eaux souterraines. C’est important pour deux raisons. La première est l’efficacité du système : si le réservoir perd ou gagne de l’eau par interaction avec le milieu souterrain, cela va influencer le débit d’eau du système. En outre, il faut veiller à ce que, s’il y a transfert vers la nappe aquifère locale, celle-ci ne subira aucune évolution hydrochimique non souhaitée. En Allemagne par exemple, on implémente cette technologie au fur et à mesure de la fermeture des mines ; on réalise donc des travaux d’imperméabilisation qui ne sont guère envisageables dans nos mines fermées depuis longtemps ! »

Pour le Pr Robert Charlier (géomécanique et géologie de l’ingénieur), il faut se rappeler que nos mines (et carrières) n’ont pas été exploitées pour cet usage : « Le remplissage rapide des galeries, puis leur vidange – et cela peut être plusieurs fois par jour – sollicitent évidemment les parois et les piliers de manière plus forte que l’exploitation d’antan. » À lui et son équipe donc de modéliser le comportement des roches soumises à un tel traitement. « Un problème a particulièrement retenu notre attention : que se passe-t-il lorsque les niveaux d’eau ne sont pas les mêmes dans deux chambres ou deux galeries adjacentes ? La réponse fournie par les modèles est assez claire : il faut minimiser cette différence et donc s’assurer qu’une chambre ne se remplit pas beaucoup plus vite que sa voisine. »

UNE EXPERTISE CERTAINE

La technologie du pompage-turbinage a-t-elle dès lors de beaux jours devant elle en Wallonie ? Une tendance se dégage : elle est plus simple à implémenter dans des carrières à ciel ouvert que dans des mines souterraines et, parmi ces dernières, celles d’ardoise sont plus accueillantes que celles de charbon. Mais il convient maintenant de réaliser des études de faisabilité et d’appliquer les modèles développés à des cas précis.

Ce qui est certain par contre, c’est que les chercheurs de l’ULiège qui ont travaillé sur le projet ont développé une réelle expertise en la matière. Ils ont pu valider des modèles numériques permettant de prévoir ce qui pourrait se passer dans des sites typiques de la région wallonne. Des modèles évidemment applicables à des sites précis. Et l’intérêt international est bien là, comme le montre déjà le succès que rencontrent leurs articles scientifiques qui ont déjà été publiés.


Henri Dupuis
Photos : Pierre Archambeau
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