Septembre 2009 /186
Septembre 2009 /186
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3 questions à Alain Carlier

L'Institut d'anatomie déménage au Sart-Tilman

alaincarlier

Alain Carlier, chirurgien de la main et des nerfs périphériques au CHU de Liège, est chargé de cours au département des sciences biomédicales de la faculté de Médecine. Il est responsable des cours d'anatomie topographique et des dissections.

L'Institut d'anatomie de Liège sera bientôt transféré intégralement au Sart-Tilman. Construit entre 1883 et 1886 par l'architecte Lambert-Henri Noppius - sous le rectorat du Pr Auguste Swaen -, le bâtiment de l'Institut sis rue de Pitteurs en Outremeuse atteste du style néogothique très en vogue à la fin du XIXe siècle à Liège. La Grand'Poste, le Palais du gouverneur et l'ancien Institut d'astronomie de Cointe en témoignent. Modernisé au XXe siècle, l'édifice a conservé un escalier d'honneur et les salles de dissection, témoignages uniques de la pratique médicale de l'époque. Depuis plusieurs années, les salles de cours, les laboratoires et bureaux des professeurs avaient migré au CHU. Restait à y installer les salles de dissection, indispensable outil didactique pour les étudiants et les futurs chirurgiens. C'est (très) bientôt chose faite grâce au soutien de l'ULg et de la faculté de Médecine.

Le 15e jour du mois : L'Institut d'anatomie va totalement quitter la rue de Pitteurs ?

Alain Carlier : Effectivement. Avec un peu de regret car ce bâtiment a une âme et une histoire : les couloirs résonnent encore de la voix de mes illustres prédécesseurs (dont Théodore Schwann) ! Heureusement, l'Université et l'Embarcadère du savoir m'ont assuré que la petite salle de dissection munie d'un auditoire vertical, vestige unique des pratiques pédagogiques de l'époque, sera protégée. Mais soit, les nouvelles salles dont nous disposerons au Sart-Tilman dans une des tours universitaires du CHU seront remarquables. Equipées d'un matériel technologique haut de gamme (écrans plasma, système de projection vidéo et audio), elles bénéficieront, à l'instar des salles d'opérations, de conditions de stérilité et d'hygiène drastiques, et ce d'autant plus que ces salles se situeront évidemment à l'intérieur d'un hôpital. Tables en inox et éclairages adéquats (scyalitiques) complèteront l'ensemble afin d'accueillir les étudiants et les assistants en chirurgie dans d'excellentes conditions. Nous aurons également plusieurs chambres froides modernes, ce qui permettra une conservation optimale des corps. Cet outil de travail permettra aux Prs Pierre Bonnet, Philippe Gillet, Jean Schoenen et à moi-même d'enseigner l'anatomie humaine de façon moderne. Mais la nouveauté, le must si vous voulez, sera l'atelier de plastination qui jouxtera nos installations.

Le 15e jour : La plastination comme outil didactique ?

A.C. : Tout à fait. Au cœur de la formation médicale, l'anatomie s'enseigne dans les amphithéâtres mais aussi lors de travaux pratiques qui font découvrir le corps humain de manière très concrète. A mon sens, seule la dissection permet de visualiser les organes, les nerfs, les muscles, etc. Elle seule est capable de donner une vision tridimensionnelle de l'anatomie. Cependant, les corps ne se conservent en l'état que durant deux ou trois jours. Placés dans le formol, ils peuvent être "utilisés" pendant six à huit semaines : au-delà, les tissus se dégradent. Ces contraintes influent, vous l'imaginez, sur l'organisation de notre enseignement.

En 1977, le Dr Gunther Von Hagens, de Heildelberg, a mis au point un procédé dit de "plastination" qui permet de conserver, intacts, des corps humains pendant une durée indéfinie... La technique, brevetée, consiste, schématiquement, à retirer l'eau et la graisse du corps et à injecter dans toutes les cellules un fluide siliconé. Ainsi préparé, le corps révèle toute sa complexité. Comparable à l'embaumement, la plastination sauvegarde indéfiniment les organes et les membres mais la technique permet en outre de les "manipuler" à l'envi, ce qui, dans le cadre d'un enseignement, est particulièrement appréciable.

L'Université - que je tiens ici à remercier - a acheté le matériel de plastination et nous comptons bientôt disposer d'organes, voire de jambes et de bras, plastinés. L'objectif n'est pas de rivaliser avec les expositions du Dr Von Hagens mais bien de constituer une collection d'objets intéressants pour notre pratique.

Le 15e jour : Le don de corps reste-t-il indispensable ?

A.C. : Plus que jamais. La faculté de Médecine a besoin de corps non seulement pour la formation des futurs médecins et chirurgiens, mais aussi pour la recherche ou encore pour certains spécialistes désireux de préciser un acte technique. J'ai déjà reçu des demandes d'ophtalmologues, d'ORL, de dentistes, lesquels viennent parfois de l'étranger car l'ULg est réputée dans la préservation des corps.

En effet, dans notre Université, les travaux de dissection sont encore intégrés dans la formation des médecins. J'en suis particulièrement heureux car de nombreuses Universités y ont renoncé... faute de corps ! Selon moi, il faut maintenir cette tradition : d'une part, parce que rien ne remplace la manipulation du corps humain pour un futur médecin et, d'autre part, parce que c'est souvent à cette occasion que, pour la première fois, les étudiants sont confrontés à la mort, une expérience essentielle dans leur profession. Les travaux pratiques de dissection commencent dès la première année. Sous la houlette du Pr Pierre Bonnet, les étudiants s'essayent à la dissection d'un cœur de porc, par exemple. Dès la deuxième année, et en troisième bachelier principalement, ont lieu les travaux pratiques "sur corps humain".

L'appel au "don des corps" est dès lors permanent. Chaque année, nous recevons entre 40 et 75 cadavres. Ce sont souvent des personnes âgées ayant bénéficié d'un traitement médical performant et qui souhaitent léguer leur corps à la science. Nous avons par ailleurs 3500 promesses de dons.

Propos recueillis par Patricia Janssens

Photo : Jean-Louis Wertz

 

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