Placée sous le signe de la littérature, la Rentrée académique de 2007 innovait. Celle de 2009 risque de surprendre encore car elle se déroulera sous la double bannière de la musique et du web, réaffirmant ainsi l'alliance de la science et de l'art au sein même de l'Université. Sept musiciens de renom (Dick Annegarn, Anthony Braxton, Arvo Pärt, Frederic Rzewski, Archie Shepp, Robert Wyatt et feu Henri Pousseur) et deux physiciens d'envergure internationale, concepteurs du web (Sir Tim Berners-Lee et Robert Cailliau), recevront les insignes de docteur honoris causa lors de la séance de Rentrée académique du jeudi 17 septembre prochain.
Pour Christophe Pirenne, chargé de cours en musicologie, « tous les artistes choisis brillent par leur talent mais aussi par leur intégrité morale et leur indépendance radicale par rapport à ce qu'il est désormais convenu d'appeler l'"industrie musicale". Ce sont de véritables "passeurs de musique" dans la mesure où ils transcendent les catégories musicales et font vivre la musique sans s'enfermer dans un genre particulier. Ils ne s'embarrassent ni des modes ni des carcans. » L'exemple d'Archie Shepp est éclairant à cet égard : précurseur du free jazz, il a multiplié les ponts entre les genres musicaux, pratiquant les standards, le blues et même le rap... tout en enseignant l'histoire de la musique afro-américaine à l'université du Massachusetts. Robert Wyatt, membre fondateur du groupe Soft Machine, s'est ensuite orienté vers des albums solos aux sonorités étranges : son œuvre apporte une redéfinition de la musique populaire et comporte, tout comme celle de Frederic Rzewski, une dimension ouvertement politique.
Mais qu'est-ce que la musique contemporaine ? « C'est un vocable peu approprié qui recouvre toutes les tentatives "savantes" actuelles visant à produire de nouvelles musiques en dehors ou à l'intérieur du système tonal établi depuis le XVIIe siècle », répond le chercheur. Une musique qui, jusque dans les années 1960, reposait sur une conception déterministe de l'histoire. On partait de Bach et on allait jusqu'à la musique sérielle en passant naturellement par Mozart, puis par les Romantiques jusqu'à Mahler. « Ce dernier a poussé le romantisme à son paroxysme, estime Christophe Pirenne. C'est ainsi que, parvenus aux confins de l'exploration harmonique, les compositeurs ont remis en question la suprématie de ces codes. Ils ont décidé, entre autres, de donner un poids égal à toutes les notes plutôt que de respecter les pôles d'importance, notamment. »
Cette évolution majeure dans le monde de la musique s'est opérée parallèlement à la volonté de démocratisation revendiquée par la société. « Après la Seconde Guerre mondiale, la volonté de bâtir un monde nouveau, démocratique, a imprégné tous les milieux, explique Christophe Pirenne. Pour les musiciens, l'harmonie a été perçue comme une construction hiérarchique de la musique. D'où l'idée, pour certains compositeurs comme Schoenberg, de créer une musique où la mélodie est remplacée par la série et de composer des œuvres où toutes les notes ont la même importance. » Ces combinaisons utilisant les 12 demi-tons chromatiques constituent le fondement de la musique sérielle, nouveau langage musical.
De faux problèmes ont créé un fossé dramatique entre les créateurs et les consommateurs de musique "savante"
Mais cela reposait sur une conception très européocentriste et, très vite, les compositeurs en ont perçu les limites. Face à l'évolution des technologies, à l'apparition de nouveaux instruments électroniques, à la multiplication des centres de développement de la musique contemporaine (Amérique du Sud, pays de l'Est, Etats-Unis, etc.), les genres se sont multipliés. Et Henri Pousseur y a lui-même contribué. Il s'est rapidement affranchi du modèle sériel, notamment en proposant des œuvres "ouvertes", c'est-à-dire des œuvres dont le déroulement pouvait être modifié en fonction de critères extérieurs (intervention des auditeurs, jeux...).
Aux Etats-Unis se développa le minimalisme, véritable antithèse à l'extrême complexité de certaines compositions. Steve Reich et Terry Riley, entre autres, travaillent sur de brèves cellules mélodiques répétées de façon quasi obsessionnelle et évoluant très lentement. Depuis les années 1980, ce décloisonnement s'est accéléré. « La musique contemporaine s'ouvre au jazz, au rock, à la musique populaire, renchérit Christophe Pirenne. Les technologies sont communes aux uns et aux autres, ce qui permet des échanges fructueux et des réinventions permanentes. Ainsi, la platine, "instrument" par excellence du rap et de la techno, a investi le champ de la musique contemporaine, mais elle sert des œuvres parfois aux antipodes des beats martelés des rave parties. » Le détournement et la récupération permanente d'éléments de certains genres par d'autres genres, l'adhésion enthousiaste aux possibilités offertes par les nouvelles technologies relèvent de ce que d'aucuns appellent le postmodernisme. Et tous les compositeurs qui vont être honorés par l'université de Liège sont des artisans de ce décloisonnement.
En conférant les insignes de docteur honoris causa aux musiciens présents et à Henri Pousseur à titre posthume, l'université de Liège s'inscrit dans la volonté de renouer les fils de la communication entre la musique et le public.
Le web a quitté la sphère académique pour gagner la société civile
Robert Cailliau et Sir Tim Berners-Lee n'ont pas "inventé" le réseau informatique mondial, à savoir, internet. Mais ils lui ont offert l'application qui l'a popularisé sous le nom désormais célèbre de World Wide Web (la grande toile - d'araignée - mondiale). « Ces deux physiciens travaillaient à l'époque au Cern, l'organisation européenne pour la recherche nucléaire de Genève, explique Christophe Lejeune, sociologue des techniques, maître de conférence à l'ULg*. En 1989, afin de disposer facilement et rapidement d'une bibliographie en ligne, ils ont créé un système qui permet de lier entre elles des pages accessibles sur le réseau. » Depuis lors, le web - et internet - ont quitté la sphère académique où ils sont nés pour gagner la société civile.
A l'heure actuelle, grâce à une démocratisation du prix des ordinateurs et des connexions internet, la toile s'est étendue non seulement à toutes les sphères professionnelles mais également à la sphère privée. « Les derniers développements ne s'appuient plus tant sur la technique que sur ses utilisateurs, poursuit Christophe Lejeune. Les forums de discussion se multiplient, les blogs pullulent. Non seulement le web permet de consulter des pages rédigées par les propriétaires de sites, mais il permet à l'ensemble des utilisateurs de créer des pages qui peuvent être modifiées et constamment enrichies. L'encyclopédie en ligne Wikipédia, que tout le monde connaît, est un très bon exemple de cette évolution. » Et que penser de l'engouement planétaire pour Facebook ou Twitter ? « Ces applications témoignent d'une généralisation de l'usage d'internet. Que l'on soit étudiant ou retraité, Facebook permet de discuter avec ses "amis", de partager des photos, de donner des nouvelles et d'en prendre...» C'est la version conviviale et ludique de cette technologie mise au point dans de (très) sérieux laboratoires universitaires...
Que deviendra le web dans un avenir proche ? « L'apparition de nouveaux supports - comme les téléphones portables (iPhone en tête) mais aussi les consoles de jeux ou les téléphones de voiture - participera encore à la propagation du web dans la population. Comme le téléphone portable qui a transformé notre acception du "rendez-vous", la généralisation du web ne sera pas sans conséquence sur notre sociabilité », poursuit Christophe Lejeune. Reste que les avis sont partagés quant à cette croissance exponentielle de l'informatique et à son intrusion dans tous les secteurs de la vie. Si certains se réjouissent des avancées positives qui se profilent (en médecine, éducation, prévention criminelle, etc.), d'autres s'inquiètent des dérives d'un système de plus en plus complexe, capable de regrouper en une fraction de seconde des myriades d'informations sur une personne, un groupe, une entreprise. « C'est là toute l'ambiguïté de la formule selon laquelle "internet est un village" ! Celle-ci rend compte de l'usage convivial d'un Facebook... En même temps, le village dans lequel tout le monde sait tout sur tout le monde a quelque chose d'inquiétant... »
A l'occasion de la Rentrée académique et des 20 ans de l'Interface-Université, l'ULg se réjouit d'entendre les propos des deux concepteurs du web sur ce sujet.
Patricia Janssens
* Christophe Lejeune est également chargé de cours à l'ULB. Il publie un ouvrage sur ce thème : Démocratie 2.0. De quelques enjeux sociopolitiques d'Internet, Bruxelles, coll. "Liberté, j'écris ton nom", éd. Espace de Libertés. A paraître en octobre 2009.
A lire : interview de Robert Caillau dans Le P'tit Torê de septembre
Le recteur Bernard Rentier invite toute la communauté universitaire à cet événement.
Matin
- conférence-débat : "Passeurs de musique" - 10h
avec la participation des musiciens et compositeurs
Salle académique, place du 20-Août 7, 4000 Liège
- conférence-débat : "Jusqu'où le web tissera-t-il sa toile ?" - 10h
avec la participation des créateurs du web et d'experts du domaine
Amphithéâtres de l'Europe, Sart-Tilman, 4000 Liège
Après-midi
cérémonie de Rentrée académique -15h
avec la participation de Rhonny Ventat
Amphithéâtres de l'Europe, Sart-Tilman, 4000 Liège
Soir
A 20h, l'ULg organise un concert privé et gratuit tout à fait exceptionnel où seront jouées des œuvres des sept musiciens honorés. Avec l'Ensemble Musiques Nouvelles, le Fred Delplancq trio et Genevière Foccroulle. En collaboration avec l'Orchestre philharmonique de Liège Wallonie-Bruxelles et la salle philharmonique de Liège.
Contacts :
- la communauté ULg est invitée à réserver ses places sur le site www.ulg.ac.be/concert
- accès possible aussi au public extérieur (dans la limite des places disponibles) : les tickets sont à retirer exclusivement à la billetterie de l'OPL.
Informations sur www.ulg.ac.be.ra2009