Sous la pression des consommateurs européens, l'achat de bois certifié "FSC" connaît un succès grandissant. FSC ? Il s'agit de l'acronyme de Forest Stewardship Council, une organisation internationale dont l'objectif est d'encourager la gestion des forêts de manière durable. Lancée au milieu des années 1990, la certification "FSC" - qui repose sur 10 principes et 56 critères de bonne gestion forestière - gagne du terrain en Afrique. Mais les exploitants connaissent bien des difficultés pour atteindre ces critères. Comment en effet assurer la rentabilité financière de leur exploitation tout en conservant la faune (gorilles, éléphants, etc.) et en garantissant les droits de chasse des populations locales ?
Cédric Vermeulen, chercheur au laboratoire de foresterie tropicale et subtropicale de la faculté des sciences agronomiques de Gembloux-ULg* vient de proposer au Cameroun un modèle de gestion de la chasse qui, s'il est mis à profit, pourrait constituer un exemple pour la gestion des forêts tropicales humides du bassin du Congo.
Le Cameroun, vaste pays de 475 000 km2 (soit 15 fois la Belgique), joue un rôle pilote dans le domaine forestier d'Afrique centrale. Dans le bassin du fleuve Congo, il fut le premier à avoir adopté, en 1994, une législation spécifique sur l'aménagement forestier. Mais le processus FSC va plus loin. Au-delà des objectifs classiques de l'aménagement prévus par la loi, il exige le respect strict de contraintes environnementales et sociales, et impose notamment une gestion de la faune. Or dans cette partie de l'Afrique, et tout particulièrement dans la province camerounaise du Dja (à l'est du pays), la viande de brousse est la principale source de protéines des Pygmées et des Bantous, deux communautés qui pratiquent également le commerce local de la viande.
C'est la quadrature du cercle : les exploitants forestiers sont dans l'obligation de favoriser la gestion durable des massifs, mais l'arrivée de leurs équipes in situ contribue à l'appauvrissement de la biodiversité locale ! Le mérite du laboratoire de foresterie tropicale et subtropicale est d'avoir proposé une méthode de gestion des céphalophes - petites antilopes, principaux gibiers piégés par les chasseurs - calquée sur le modèle de gestion des concessions forestières. « Concrètement, explique Cédric Vermeulen, chargé de cours à la Faculté et spécialiste de la gestion participative des milieux naturels africains, il s'agit de différents scénarios de rotation des activités de chasse épousant la rotation des activités d'exploitation du bois. Les communautés sont invitées à chasser d'une façon plus intensive dans la zone qui est destinée à être exploitée pour son bois cette année-là et qui, à ce titre, sera de toute façon perturbée par la présence humaine. Vidée en bonne partie de ses mammifères, cette zone est appelée à être ensuite rapidement recolonisée par la faune qui a trouvé refuge dans les aires voisines. Et ainsi de suite d'une parcelle à l'autre, pendant la durée de vie de la concession. »
C'est la toute première fois qu'une méthode de ce type est proposée pour gérer le prélèvement de la faune dans des forêts tropicales denses humides, contrées particulièrement rebelles aux comptages visuels. Les chercheurs ont testé empiriquement divers scénarios de rotation spatio-temporelle des prélèvements de chasse afin d'examiner leur impact sur le niveau de prélèvement maximum (mais durable !) de l'écosystème, la satisfaction des besoins protéiques des populations et, enfin, le niveau de performance du système de chasse pratiqué. « Au cours de ces expérimentations, poursuit Cédric Vermeulen, les chasseurs volontaires, ont été invités à poser leurs pièges dans une zone soigneusement délimitée et en respectant certaines contraintes. »
Le résultat ? « Si l'on tient compte uniquement des besoins de consommation locale de viande, tous les scénarios de prélèvements examinés s'avèrent durables, explique le chercheur. Si on y ajoute, par contre, la demande de viande liée au petit commerce, les prélèvements sont trop importants au regard de l'objectif de gestion durable de la faune. Or, cette commercialisation de la viande de brousse alimente une économie locale et permet de payer des frais aussi indispensables que les médicaments ou la scolarité des enfants. »
En d'autres termes, si l'on veut que la chasse soit durable et permettre la certification FSC des forêts, il faut mettre un frein aux prélèvements du gibier. Une décision difficile à faire admettre aux autochtones qui non seulement pratiquent la chasse et la cueillette de très longue date mais en outre ne souhaitent pas modifier ces pratiques ancestrales. « Même s'il doit encore être considérablement affiné, conclut Cédric Vermeulen, ce nouveau modèle n'a-t-il pas plus de pertinence que les solutions prônées par certains milieux conservateurs, selon lesquels toute forme de chasse est illégale et doit être en conséquence durement réprimée ? »
D'après Philippe Lamotte
Article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Terre/environnement).
Le laboratoire de foresterie des régions tropicales et subtropicales du Pr Jean-Louis Doucet fait partie de l'unité de gestion des ressources forestières et des milieux naturels dirigé par le Pr Jacques Rondeux.