Sur la trentaine de peintures authentifiées comme étant de la main de Léonard de Vinci, six se trouvent en France. A la base de cette collection, le goût et la volonté politique du roi François Ier, vite imité par son entourage. Laure Fagnart, chargée de recherches FNRS au service d'histoire de l'art et archéologie des temps modernes, raconte cet engouement français pour le génie italien dans un superbe ouvrage qui vient de paraître : Léonard de Vinci en France.*
Invité par François Ier, Léonard de Vinci s'installe en France en 1516, dans le manoir du Clos Lucé, près de la résidence royale d'Amboise. Certes, contrairement à la légende, François Ier ne s'est pas précipité au chevet de Léonard moribond, mais il y eut bel et bien un rapport privilégié entre l'artiste italien et la monarchie française. C'est ce lien très particulier que Laure Fagnart a établi dans sa thèse de doctorat dirigée par le Pr Maurice Brock et soutenue à l'université de Tours, au Centre d'études supérieures de la Renaissance.
Paradoxe : l'œuvre la plus appréciée des Français aux XVIe et XVIIe siècles est la Cène, alors qu'elle n'a jamais quitté Milan puisqu'il s'agit d'une peinture murale. « Léonard de Vinci a bouleversé la manière de représenter le sujet religieux. Il ne dépeint pas la trahison elle-même mais les secondes qui la précèdent. Cela met l'accent sur un moment beaucoup plus dramatique : tout le monde se demande qui sera le traître. C'est aussi une œuvre dans laquelle l'éventail des sentiments humains est représenté : colère, étonnement, incompréhension, etc. » La Cène est tellement appréciée que, dit-on, le roi Louis XII - qui a conquis le duché de Milan - aurait voulu ramener dans ses valises le mur du couvent Santa Maria delle Grazie sur lequel elle est peinte...
Reconnue très précocement comme un chef-d'œuvre également, la Joconde est le deuxième tableau le plus apprécié dans l'Hexagone. « Le peintre bouleverse à nouveau les règles, commente Laure Fagnart, celles du portrait cette fois. Le modèle sourit et regarde le spectateur, créant ainsi une sorte de dialogue. L'artiste recourt au "sfumato", méthode qui consiste à utiliser une matière picturale très liquide, et à superposer plusieurs couches afin d'estomper les contours. Cela donne une plus grande vraisemblance au portrait car on a l'impression de voir l'air qui entoure le modèle. C'est particulièrement réussi pour Monna Lisa. » A partir des années 1530, François Ier, séduit par l'art renaissant qui s'impose en Italie, fait décorer à l'italienne son château de Fontainebleau. Ressuscitant les thermes antiques, le monarque fait installer dans l'une des ailes du château des salles d'étuves chaudes, humides ou sèches, et des salles de repos décorées de fresques, de tableaux de chevalet. On sait que quelques peintures de Léonard y furent exposées, ce qui permet au Roi d'associer la monarchie française à l'aura dont jouit l'artiste considéré, de son vivant, comme un penseur universel.
Autre paradoxe : après avoir franchi les Alpes, Léonard de Vinci ne peint plus guère. Il organise des cérémonies pour le Roi - le baptême du Dauphin par exemple - et met en scène des spectacles, comme la "Fête du paradis" d'après un poème de Bellincioni. François Ier lui confie aussi la rénovation de la ville de Romorantin et l'édification d'un palais, mais Léonard s'éteint avant le début des travaux.
Ses peintures continuent d'être très prisées sous le règne de Louis XIII, mais les œuvres de Raphaël et des Carrache supplantent bientôt celles de Léonard à la cour du roi Louis XIV. Il faudra attendre le début du XIXe siècle pour que l'intérêt passionné des débuts revienne avec force.
Henri Dupuis
Article complet sur le site www.reflexions.ulg.ac.be (rubrique Pensée/art).
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Fagnart L., Léonard de Vinci en France. Collections et collectionneurs (XVe-XVIIe siècles),
L'Erma di Bretschneider (LermArte, III), Rome, 2009.
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