Errare humanum est. Cet adage est particulièrement pertinent en cette période de crise. Il serait en effet impardonnable aujourd'hui plus qu'hier de ne pas tirer les leçons des erreurs du passé. Car la crise est bien là ; elle a peut-être atteint son paroxysme pour les financiers mais certainement pas pour "les gens", comme disent nos hommes politiques. Le chômage devrait croître dans les prochains mois en dépit d'une augmentation des dépenses et autres interventions publiques. Les gouvernements - fédéral, communautaires et régionaux - auront à procéder à des choix difficiles et à des arbitrages douloureux. Il leur faudra du courage, de la lucidité et surtout de la mémoire.
Il y a une dizaine de mois, avant que l'on ne parle de crise, la situation économique de la Belgique francophone n'était déjà pas au mieux, bien que l'on sortait d'une conjoncture mondiale assez favorable. A Bruxelles comme en Wallonie, les taux de chômage et plus encore les taux de non-emploi étaient élevés, et en dépit d'une façade avenante, les budgets étaient déficitaires. Il fallait une certaine perspicacité et un rare courage pour dénoncer l'état de nos finances publiques. Tout n'est pas imputable à la crise.
La Belgique a vécu pendant plus d'une décennie taraudée par l'effet "boule de neige", cet emballement de la dette publique qui frisait 130% du PIB et dont la résorption a impliqué l'arrêt de nombreux investissements pourtant indispensables... comme en témoigne l'état déplorable de nos routes et de nos transports publics. Sans parler de notre recherche. Or la crise actuelle nous ramène à cette situation cauchemardesque. Le déficit devrait atteindre 6,3% du PIB en 2010 et le taux d'endettement passer de 8,9 à 10,3% entre 2008 et 2010. Cette augmentation est inévitable : la demande intérieure a besoin d'être soutenue. En revanche, il importe que les dépenses nouvelles ainsi consenties soient contingentes à la crise elle-même ; en d'autres termes, elles devraient disparaître dès que la reprise apparaîtra.
Ils en parlaient tous mais tous n'étaient pas frappés
Le chômage qui avait baissé ces dernières années d'embellie s'est remis à augmenter, et cette augmentation devrait s'avérer dramatique dans les prochains mois lorsque toute une nouvelle cohorte de diplômés entrera sur le marché du travail et lorsque l'emploi protégé le sera moins. La tentation de faire appel aux vieux démons de la préretraite et du partage du temps de travail sera grande. Longtemps nos hommes politiques ont pensé que, pour lutter contre le chômage, il fallait pousser les travailleurs âgés à la retraite et adopter des mesures de partage du temps de travail à la manière des 35 heures de nos voisins du sud. On sait aujourd'hui que ce ne sont pas de bonnes solutions et que certaines de ces mesures conduisent à accroître et non réduire le taux de chômage.
L’urgence de la crise pourrait nous faire oublier que la Terre continue de tourner et que les problèmes de fond restent entiers, le plus souvent sans solutions. On pense naturellement à l’environnement pour lequel nous faisons si peu, particulièrement en période de crise. La crise relève de l’immédiat et nous fait oublier les belles promesses d’hier, particulièrement celles qui ont trait à la justice intergénérationnelle et au monde que nous laisserons à nos enfants. A cet égard, le vieillissement de la population est une menace réelle. Le taux de dépendance devrait quasiment doubler dans les deux prochaines décennies. Les pensions d’aujourd’hui sont scandaleusement basses pour une grande fraction des retraites ; qu’en sera-t-il demain ? Il n’y a 36 solutions. L’une d’elles est précisément de relever l’âge de la retraite.
Que de fois n’a-t-on pas entendu ces derniers temps, en France comme en Belgique, des propos du type : « Nos économies résistent mieux à la crise que les économies anglo-saxonnes. » La vérité est tout autre. La crise frappera nos économies aussi lourdement que les autres, mais avec retard. Retard dû à ce qu’une bonne partie de l’emploi est protégée. C’est clair pour la fonction publique et l’emploi parastatal. C’est vrai aussi pour les emplois contractuels dans le secteur privé. Mais avec le temps le déclin de la demande devra se traduire par un déclin de l’emploi, et c’est ainsi que l’on s’attend à une forte augmentation du chômage. Il passerait de 7,1 a 9% entre 2008 et 2010, avec le danger que l’a reprise soit plus lente qu’ailleurs : c’est ce qu’on appelle le phénomène d’hystérèse. Et ces chiffres sont des moyennes nationales. Pour la Belgique francophone, ils sont nettement plus élevés.
A la différence de la peste, la crise ne frappe pas tout le monde. Ceux qui en parlent le plus sont souvent les moins atteints. C’est une question d’âge, de profession. Les jeunes, les femmes, les non-qualifiés, les “nouveaux” Belges sont davantage frappés. C’est là où la solidarité dans l’effort est indispensable.
Pierre Pestieau
professeur HEC-Ulg