Quelques bâtiments du domaine du Sart-Tilman seront ouverts au public durant le week-end des 12 et 13 septembre. Cas d'école, le campus sera aussi au cœur du colloque organisé en même temps à l'ULg sur le patrimoine contemporain. Regards croisés de Jean Housen, conservateur du Musée en plein air du Sart-Tilman, et de Christian Evens, directeur de l'administration des ressources immobilières de l'ULg.
Le 15e jour du mois : Comment définir le patrimoine contemporain ?
Jean Housen : Dans le domaine de l'histoire de l'art, le patrimoine "culturel" est traditionnellement constitué par l'ensemble des monuments historiques et des œuvres d'art dont nous avons hérité. Mais la protection de ce patrimoine est une notion assez neuve qui ne s'est imposée qu'à partir du XIXe siècle, et de façon très progressive. Quantité de bâtiments anciens furent en effet détruits à cette époque afin d'édifier de nouvelles constructions : c'est le cas à Bruxelles et à Liège notamment ! En France, André Malraux, ministre de la Culture dans les années 1960, a attiré l'attention sur la valeur du patrimoine architectural et s'est investi dans sa conservation. Depuis lors, les édiles admettent que certains bâtiments, en raison de leur qualité esthétique, de la qualité des techniques utilisées ou de la qualité de leur intégration dans l'environnement, soient sauvegardés afin, notamment, de conserver la trace d'un savoir-faire ancien.
Cette attitude est assez généralisée à présent dans le monde occidental. Mais à partir de quels critères peut-on estimer que telle ou telle œuvre d'art sera, demain, classée au "patrimoine de Wallonie" par exemple ? La notion d'esthétique, en effet, est très fugace : qui oserait aujourd'hui réclamer la destruction de l'ancienne Grand'Poste à Liège ? Personne, alors que bien d'autres immeubles de ce type ont été rasés il y 60 ans à peine. A contrario, les buildings de Droixhe, conçus dans l'optique du Corbusier et à la pointe du progrès dans les années 1960, et toutes les constructions de cette époque, trouvent encore très peu de défenseurs...
Le 15e jour : A votre avis, faut-il classer certains bâtiments du campus construits à partir des années 1960 ?
J.H. : "Classer" un bâtiment signifie que l'on considère qu'il est un témoin important d'une époque. A ce titre, il doit être protégé, restauré et maintenu à l'identique. Certains estiment que les œuvres actuelles constituent le patrimoine de demain et que, dès lors, il faut les protéger sans attendre. D'autres pensent au contraire qu'il faut laisser du temps au temps.
Si l'on conçoit assez facilement que l'église Saint-Barthélemy soit classée - son intérêt historique et artistique est manifeste -, sur quels critères classer la nouvelle gare de Liège ? Certes les qualités esthétiques et techniques de l'œuvre sont incontestables, mais l'architecte Santiago Calatrava a réalisé d'autres bâtiments remarquables à Venise, à Tenerife, à Chicago, etc. Pourquoi classer la gare de Liège et pas les autres ? Beaucoup pensent qu'il est trop tôt pour prendre une décision.
Le colloque sera l'occasion d'évoquer toutes ces questions et le campus du Sart-Tilman, ensemble assez unique en Europe, sera au cœur des débats. Ses bâtiments sont signés par de grands noms de l'architecture belge et illustrent des tendances majeures de notre époque (André Jacqmain, Claude Strebelle, Charles Vandenhove, Daniel Dethier, etc). Méritent-ils d'être classés ? Et le classement constitue-t-il la solution idéale ? Certes, il imposerait à la Région wallonne d'intervenir financièrement dans la conservation des édifices, mais les restaurations "à l'identique" sont très contraignantes. Or, les bâtiments universitaires doivent pouvoir évoluer en fonction des besoins des utilisateurs. Peut-être faudrait-il imaginer une voie médiane...
Photo: Jim Sumkay
| Colloque "La reconnaissance du patrimoine contemporain. Le domaine de l'université de Liège au Sart-Tilman, un cas d'école". Jeudi 10 septembre, 8h30. Grands amphithéâtres (bât. 7a), Sart-Tilman, 4000 Liège. Inscription par courriel patrimoine@ulg.ac.be |

Le 15e jour du mois : Qu'est-ce que le patrimoine contemporain ?
Christian Evens : Difficile de répondre à cette question en deux mots. Disons que l'utilisation judicieuse des nouveaux matériaux et leur mise en valeur, l'attention apportée à l'environnement et le mariage réussi entre l'esthétique et la fonction sont des ingrédients importants pour que l'on puisse considérer qu'un bâtiment est un héritage de qualité laissé aux générations à venir. Plusieurs bâtiments du Sart-Tilman s'inscrivent parfaitement dans cette optique : conçus au début des années 1960, ils donnent la part belle au béton, l'utilise comme matériau de parement et ne négligent en rien l'aspect esthétique des constructions sans nuire pour autant à leur fonction. De plus, ils s'intègrent dans leur milieu naturel selon la formule de Claude Strebelle, architecte responsable de l'ensemble du chantier, qui voulait l'incursion du "minéral dans le végétal".
Je trouve la première vague de constructions (1960-1970) très intéressante à cet égard. Je ne peux citer toutes les réalisations, mais la chaufferie centrale, la botanique et les bâtiments de Physique-Chimie, par exemple, répondent bien aux critères que j'ai évoqués et méritent certainement, à mon sens, une attention particulière.
Parmi les plus récentes, je pense que les amphithéâtres de l'Europe, la faculté des Sciences appliquées et le Trifacultaire sont les constructions qui sont les plus proches de l'esprit des premières réalisations. Qu'on les aime ou pas, ils tentent d'apporter des réponses très "contemporaines" aux besoins de leur époque au travers du choix des matériaux et de leur volumétrie.
Ceci dit, il faut préciser que, tout au long du développement du domaine, les moyens financiers ont été revus à la baisse et que les ambitions premières ont parfois dû céder le pas devant des considérations plus terre à terre.
Le 15e jour : A votre avis, faut-il classer certains bâtiments du campus ?
Ch.E. : Le classement constitue certainement une solution pour assurer la pérennité d'un bâtiment, le financement public assurant alors une grande partie des frais supplémentaires liés à l'exigence de restauration dans le respect de la conception d'origine, parfois jusque dans les moindres détails. Il est clair que l'Université aura besoin d'aide pour préserver la qualité de son patrimoine, mais elle ne peut pas non plus se retrouver face à des procédures interminables visant à "sauvegarder l'œuvre dans son état originel". Je vois deux gros problèmes : d'une part, l'utilisation de nouveaux matériaux et la recherche esthétique ont parfois conduit à des erreurs qu'il convient de corriger si l'on veut éviter des frais d'entretien récurrents et gérer "en bon père de famille", d'autre part, l'Université doit vivre et s'adapter constamment à des exigences nouvelles, et ce avec des budgets limités.
On sait aujourd'hui que le béton se dégrade, parfois de façon alarmante, que les maçonneries en blocs se salissent et se fissurent, et que les techniques de réparation vont inévitablement modifier l'aspect du parement si l'on veut qu'elles aient des effets durables.
Par ailleurs, il est urgent de procéder à l'isolation thermique de tous nos immeubles. Comment s'acquitter de cette tâche en respectant l'œuvre "à l'identique" ? La seule solution serait de procéder à une isolation par l'intérieur du bâtiment, ce qui générerait un surcoût important et des désagréments rédhibitoires pour les occupants des lieux. Cela ne peut être envisagé de manière systématique.
Propos recueillis par Patricia Janssens
Liège
Expositions
Les 12 et 13 septembre, de 10 à 18h.
Grands amphithéâtres (bât. 7A), Sart-Tilman, 4000 Liège.
Visites guidées du Sart-Timan
Pour prolonger la visite de l'exposition, des parcours guidés permettront de découvrir le patrimoine architectural et sculptural de l'ULg. Visite pédestre, balade à vélo, circuit en car.
Les 12 et 13 septembre, de 10 à 18h.
Au centre-ville
Les 12 et 13 septembre, de 10 à 18h.
Les 12 et 13 septembre, de 10 à 19h
nocturne le samedi jusque 23h30.
Arlon
Visites guidées de l'ULg à Arlon
Gembloux
Visites guidées de l'ancienne ferme abbatiale de Gembloux et de l'ancienne grange, désormais "Espace Senghor"
Programme complet et détails sur le site www.ulg.ac.be/patrimoine