
Lorsque, il y a quelques jours, un nouveau gouvernement belge a été nommé par le chef de l'État, cette nouvelle a, en général, été accueillie avec un certain soulagement, après plus de six mois de crise. Nous voilà donc de nouveau dotés d'un gouvernement au sens usuel du terme (par opposition au gouvernement en affaires prudentes/courantes qui présidait à nos destinées depuis le 2 mai, date de la publication au Moniteur belge de la déclaration1 de révision de la Constitution).
La particularité de ce nouveau gouvernement Verhofstadt III est toutefois qu'il est censé "se terminer" fin mars. Assez curieusement donc, un gouvernement, alors qu'il a reçu la confiance de la Chambre des représentants le 23 décembre dernier, déclare qu'il ne survivra pas au-delà du troisième mois de la nouvelle année. C'est à dessein que j'emploie des termes imagés comme "se terminer" et "ne survivra pas" et non des expressions proprement juridiques, car le plus grand flou subsiste sur les modalités de cette fin présumée du gouvernement : assistera-t-on à une démission de tout le gouvernement (au sens de l'article 46, antépénultième alinéa, de la Constitution) ou simplement à la démission d'un seul ministre, en l'occurrence celle du Premier ministre, lequel serait remplacé par l'un de ses vice-Premiers ministres ? En droit constitutionnel, en tout cas, la démission du gouvernement en entier a des conséquences très différentes de celle d'un seul ministre : si la dernière hypothèse est un acte relativement banal - le gouvernement continuerait d'exister et conserverait l'intégralité de ses pouvoirs -, la première plongerait le pays de nouveau dans une constellation d'affaires courantes, jusqu'à la nomination d'un nouveau gouvernement (et l'expérience la plus récente nous a surabondamment montré que cela peut prendre du temps). La plus élémentaire prudence me conduit donc à conserver la formulation - imprécise du point de vue juridique - que le gouvernement Verhofstadt III "prendra fin" au mois de mars.
Cette fin du mois de mars correspond par ailleurs, en l'état actuel des choses, à la fin des crédits provisoires votés par le Parlement fédéral pour l'exercice budgétaire 2008; en d'autres termes, le niveau fédéral ne dispose pas encore, en droit positif2, d'un budget pour les mois d'avril à décembre 2008. Ce caractère provisoire de la loi de finances 2008 tranche avec les arrêtés royaux de nomination des ministres qui, eux, n'ont pas été limités dans le temps : l'accord selon lequel le gouvernement Verhofstadt III n'irait pas au-delà du mois de mars relève, pour l'heure, du seul domaine de la politique, non du droit. D'autre part, et d'une manière parfaitement conforme à la tradition, Guy Verhofstadt, ancien et nouveau Premier ministre, n'a même pas fait l'objet d'une nouvelle nomination; son titre de nomination est toujours celui du 12 juillet 1999, inchangé depuis : c'est donc cet arrêté royal de 1999 qu'il conviendrait d'abroger fin mars 2008... si jusque-là le scénario n'est pas de nouveau modifié. Car il est bien connu qu'en politique, une période de trois mois constitue une éternité.
Dans son célèbre Contrat social de 1762, Jean-Jacques Rousseau relève que tout gouvernement ne constitue qu'une « forme provisionnelle » que le peuple « donne à l'administration, jusqu'à ce qu'il lui plaise d'en ordonner autrement ». Si cela est incontestable, il convient néanmoins de relever qu'aux termes des articles 65 et 70 de la Constitution, le Parlement fédéral est élu pour quatre ans et que les possibilités de dissolution anticipée, en droit constitutionnel belge, sont strictement limitées. Fin mars 2008, s'il devait y avoir changement de gouvernement, la répartition des sièges au Parlement fédéral, quant à elle, ne changerait en principe pas.
Partant, la légitimité démocratique du nouveau gouvernement post-mars-2008 sera, elle aussi, assise sur les résultats électoraux du 10 juin 2007, dernière expression authentique de la volonté du peuple. Autrement dit, on aura affaire à deux gouvernements consécutifs qui, l'un comme l'autre, se réclameront de la légitimité découlant d'un même scrutin. En même temps toutefois, le second gouvernement souhaitera affirmer son identité propre (faute de quoi il eût été vain de changer de gouvernement).
La Théorie générale de l'État est en mesure d'expliquer ces différents phénomènes. Elle est en revanche incapable de justifier le fait que le gouvernement Verhofstadt III, qui dispose d'une majorité et d'un vote explicite de confiance parlementaires, estime a priori - en quelque sorte in tempore non suspecto - ne pas être en mesure d'assumer ses responsabilités jusqu'au terme de la législature. Bien entendu, toute théorie peut évoluer, se rénover, et comme le disait si bien Paul Valéry, le nouveau répond souvent à un désir ancien. Il n'en demeure pas moins vrai que tous les désirs, fussent-ils anciens, ne sont pas nécessairement compatibles avec l'élément central de la Théorie moderne de l'État, à savoir la responsabilité gouvernementale devant un parlement basée sur un système de législatures.
Christian Behrendt - le 07/01/2008
chargé de cours à la faculté de Droit
enseignant notamment la Théorie générale de l'Etat et le Droit constitutionnel comparé
1 Déclaration qui a eu pour effet de dissoudre le Parlement fédéral et de convoquer les électeurs pour des élections fédérales. Pour être tout à fait exact, le gouvernement a été en affaires dites prudentes du 2 mai au 10 juin (jour des élections), puis en affaires dites courantes à partir du lendemain des élections jusqu’au 21 décembre.
2 On désigne par l’expression “droit positif” le droit actuellement en vigueur.