Janvier 2008 /170
Janvier 2008 /170

Quand musées et guerre font bon ménage...

Un ouvrage d'André Gob lève le voile

AndréGob Musées" Etre au-dessus de tout soupçon", c'est une commodité qui n'est pas donnée à tout le monde. Seule la femme de César, à ce qu'on dit, bénéficiait de ce statut enviable. Côté honorabilité, les musées jouissent selon toute apparence d'un a priori de même nature. Ne constituent-ils pas des sanctuaires voués à l'art, des conservatoires du beau, des havres de paix nécessairement préservés des turbulences de l'Histoire ? « Détrompons-nous, déclare André Gob, chargé de cours en muséologie au département des sciences historiques de l'ULg, car ces établissements souffrent certes souvent des guerres mais il arrive aussi, plus fréquemment qu'on ne l'imagine, qu'ils en sont partie prenante. Beaucoup de leurs pièces ont été acquises à la suite de conflits armés, les vainqueurs puisant allègrement dans les trésors artistiques des vaincus. Et leurs conservateurs ne sont pas nécessairement étrangers à ces rapts. » Dans son ouvrage Des musées au-dessus de tout soupçon, André Gob décortique les rapports entre guerre et musées, le point de départ de son investigation se situant dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et principalement au début de la Révolution française.

C'est à ce moment-là que naît le musée en Europe, comme en témoigne la fondation du Louvre par Vivant Denon. C'est l'époque aussi de la Campagne d'Italie de 1796, menée par Bonaparte, ainsi que de l'Expédition d'Egypte (1798-1801) conduite par le même, deux entreprises militaires qui donnèrent lieu à pas mal de saisies ou spoliations, pertinemment appelées "les trophées de la liberté" par l'auteur. « Le général corse n'y est pour rien, puisque ce sont les autorités révolutionnaires qui prennent les décisions, précise-t-il, mais ces agissements se poursuivent sous l'Empire. » Est-il besoin d'ajouter que la France n'a pas eu l'exclusivité de ce type de pratiques ? L'Angleterre a également fait main basse sur quantité de chefs-d'œuvre artistiques, notamment en Grèce. Parcourir le British Museum est éloquent à cet égard.

La suite sera du même tonneau. Il suffit de penser, dans un autre contexte bien sûr, aux collections enlevées à la fin de la Seconde Guerre mondiale dans les musées publics par les Américains et les Soviétiques pour punir l'Allemagne nazie, laquelle ne s'était pas privée auparavant de s'adonner à de véritables razzias dans les pays occupés. Ce pillage systématique, dont furent particulièrement victimes les propriétaires juifs, était destiné au Führermuseum que Hitler voulait édifier à Linz, en Autriche. Comme quoi, la barbarie qui se veut cultivée - façon Göring -, l'incoercible convoitise de collectionneurs, certaines idéologies d'Etat à géométrie variable peuvent devenir de redoutables "agents muséaux".

Le nationalisme en est un, lui aussi. Après Waterloo et à l'issue du Congrès de Vienne en juin 1815, par exemple, chaque nation vaincue par Napoléon veut récupérer tout ce qui lui a été dérobé : à cet effet, des émissaires venus de Prusse débarquent dès juillet au Louvre et rapatrient ce qui a été enlevé sur leur sol, le but étant d'affirmer la germanité du patrimoine de leur pays. Les églises, quant à elles, ne bénéficieront pas de cette campagne de restitutions : la raison invoquée est que les bâtiments religieux, monastères compris, ne présentent pas les conditions suffisantes pour la conservation de peintures, sculptures, etc. Politiques à géométrie variable à nouveau.

« En réalité, le musée n'est jamais neutre. Il est toujours marqué idéologiquement. Il contribue dès lors à diffuser une conception du monde et à favoriser l'adhésion, voire la mobilisation à l'égard de celle-ci », constate avec lucidité André Gob. Il n'en veut pour preuve que le Musée du château de Versailles inauguré en 1837 par le roi Louis-Philippe et consacré "à toutes les gloires de la France". Le Musée allemand de l'hygiène de Dresde, créé en 1912, en est une autre, établissement dont les avatars serviront finalement à justifier l'eugénisme et à alimenter l'entreprise exterminatrice de l'hitlérisme.

On le voit, ce nouvel ouvrage d'André Gob, ambitieux en son projet, ne manque pas d'interpeller. Au même titre, d'ailleurs, que les dix contributions - appelées "regards" - de plusieurs grands noms de la muséologie européenne, placées à la fin de chacun des chapitres.

 

Henri Deleersnijder

 

André Gob, Des musées au-dessus de tout soupçon, Paris, Armand Colin, 2007

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