Similitudes pour l’étude des maladies génétiquesCes dernières années, les généticiens portent un intérêt croissant au chien en tant que modèle de maladies génétiques complexes humaines. Le développement de telles maladies est dû à l’intervention de plusieurs gènes fonctionnant en interaction avec l’environnement de la personne, ce qui rend le dépistage de ces gènes très difficile.
Plusieurs raisons expliquent l’intérêt du modèle canin. Tout d’abord, le chien souffre spontanément de maladies génétiques complexes très semblables aux maladies humaines alors que le développement de telles affections chez les rongeurs doit être provoqué par des facteurs exogènes. De plus, suite à la domestication du chien il y a quelques 30 000 ans et à la création de multiples races canines depuis 200 ans et les goulots d’étranglement génétique qui en résultent, le déterminisme de maladies très complexes chez l’homme s’est vu simplifier chez le chien, ce qui facilite la détection des mutations à leur origine. L’obtention récente de la séquence complète du génome du chien et la batterie de millions de marqueurs génétiques qui l’accompagnent expliquent cet engouement pour le modèle canin.
Au printemps 2007, la Commission européenne a lancé un appel à projet concernant la recherche de modèles animaux, autres que les rongeurs, pour étudier les maladies génétiques complexes humaines. C’est donc naturellement qu’au sein de la faculté de Médecine vétérinaire, le Pr Michel Georges (unité de génomique animale- Giga), Cécile Clercx et Dominique Peeters (département clinique animaux de compagnie et équidés) ont soumis un projet basé sur la génomique canine... Sélectionné, ce projet dénommé “Lupa” démarre en ce mois de janvier 2008, grâce à un financement de 12 millions d’euros de la Commission européenne. Il sera coordonné par Anne-Sophie Lequarré, gestionnaire de projets scientifiques à la faculté de Médecine vétérinaire.
Lupa rassemble pour une durée de quatre ans 22 partenaires européens impliqués dans la récolte du sang de 8000 à 10 000 chiens qui souffrent d’une des 18 maladies génétiques choisies par les concepteurs du projet. Ces maladies sont réparties en cinq groupes : les maladies cardiovasculaires, les cancers, les troubles neurologiques – principalement l’épilepsie – les troubles inflammatoires comme le diabète ou encore l’eczéma, et enfin quelques maladies monogéniques. « Les différents partenaires se sont répartis les tâches, explique Anne-Sophie Lequarré. Chacun a choisi de se concentrer sur l’une ou l’autre maladie. L’université de Liège se focalisera principalement sur les maladies cardiovasculaires. »
La récolte d’échantillons sanguins devrait s’étaler sur un ou deux ans. Viendra ensuite la phase de “génotypage” : les échantillons seront caractérisés pour 50 000 marqueurs chacun. La dernière étape du projet verra la comparaison des génotypes marqueurs des individus malades avec ceux d’individus sains. Différentes techniques de cartographie génétique permettent ensuite de localiser progressivement et précisément les gènes responsables des maladies étudiées.
Les chiens sur lesquels seront effectués les prélèvements ne sont pas des animaux d’expérience : ce sont des chiens malades présentés en consultation vétérinaire. « Une douzaine d’écoles vétérinaires en Europe, qui reçoivent régulièrement des chiens malades sont déjà avertis qu’ils doivent effectuer un prélèvement sanguin sur des races de chiens présentant certaines maladies, moyennant le consentement du propriétaire, explique Anne-Sophie Lequarré. Chaque maladie nécessitera à peu près 200 chiens malades et 200 chiens sains. Pour ces derniers, nous comptons sur les chiens sains présentés en clinique dans le cadre d’un vaccin, par exemple. »
Ces recherches vont avoir deux types de retombées. En médecine vétérinaire, elles permettront de vérifier la disposition de certains chiens à développer des maladies génétiques et ainsi de prendre les dispositions qui s’imposent : ne pas les utiliser dans la reproduction, prévoir un régime pour retarder le développement de la maladie, imaginer un traitement préventif, etc.
Des retombées sont également attendues en médecine humaine : les résultats obtenus sur le chien pourront ensuite être extrapolés à l’homme. En effet, l’homme et le chien ont de nombreuses grandes régions plus ou moins semblables dans leurs génomes. « On peut donc espérer que ce seront les mêmes mutations génétiques qui seront responsables de la maladie chez le chien et chez l’homme, d’autant qu’on a choisi des maladies qui ont des correspondants humains, reprend Anne-Sophie Lequarré. C’est pourquoi il est prévu qu’à la fin du projet, un colloque soit organisé pour présenter les résultats de Lupa à des généticiens humains et ainsi faciliter le transfert vers l’homme. »
Des recherches du même type sont réalisées directement à partir du génome humain. Néanmoins, la plus grande diversité des génomes humains par rapport à leurs homologues canins complique fortement les recherches, nécessitant entre autres le recours à 5000 individus malades et 5000 individus sains, au lieu de deux fois 200 chez le chien. C’est pourquoi la médecine humaine place beaucoup d’espoir dans le meilleur ami de l’homme.
Elisa Di Pietro