Février 2008 /171
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Logiciels libres

Cassandre : une petite merveille pour les sciences humaines

Docteur en sociologie, Christophe Lejeune est chercheur au Cemad, laboratoire de l’Institut des sciences humaines et sociales. Son dada ? Les logiciels d’analyse qualitative et la catégorisation. Deux domaines qui l’ont amené à étudier les sites internet, les communautés virtuelles et les habitudes professionnelles des scientifiques. Entretien avec un passionné.

SureparvisduLouvreLe 15e jour du mois : Vous êtes à l’origine d’un logiciel pour les chercheurs en sciences humaines ?

Ch.L. : Effectivement. Depuis 2006, il existe à l’ULg un logiciel libre – et gratuit – déposé sur le serveur SourceForge. Il s’agit d’une plateforme pour textes. Son utilité ? Analyser de façon interactive un corpus de textes.

Le 15e jour : D’où l’idée vient-elle ?

Ch.L. : J’ai fait un post-doctorat dans le laboratoire Tech-Cico de l’université de Technologie de Troyes dont l’objectif était de constituer une plateforme pour les sciences humaines et sociales afin de répondre aux besoins des chercheurs qui souhaitent travailler de concert sur un corpus partagé et constitué de documents textuels mais aussi photographiques, vidéos, etc. Cette initiative rencontrait d’ailleurs une demande de l’Unesco qui répercutait le souhait de quelques biologistes répartis aux quatre coins du monde. Ceux-ci auraient aimé disposer d’un site web afin de discuter “en temps réel” et à partir d’un matériau précis mis en ligne. L’objectif étant de bénéficier à la fois d’une plateforme de dialogue et d’un outil d’analyse rigoureux. Cette plateforme de travail “collaboratif” assisté par ordinateur propose une série de services permettant à plusieurs personnes de se coordonner à distance. Et, lorsque les personnes en question sont des scientifiques, on parle maintenant de “collaboratoire”.

Le 15e jour : Comment votre logiciel fonctionne-t-il ?

Ch.L. : Petite précision : Cassandre n’est pas mon œuvre ! Je l’ai mis au point avec l’équipe troyenne, en particulier avec Aurélien Bénel, un chercheur en informatique de cette équipe, qui avait notamment travaillé à l’École française d’Athènes avec des archéologues et qui était au fait des demandes particulières de la recherche en sciences humaines. Mais revenons à la question. Pour utiliser Cassandre, il faut d’abord préparer l’ensemble de textes que nous voulons étudier et le livrer au logiciel. Celui-ci fonctionne ensuite de manière intuitive : on lui pose une question sur base de mots-clefs. En un seul clic et en une fraction de seconde, il est alors capable de repérer tous les passages qui comportent le nom de “Verhofstadt III” dans la presse quotidienne belge par exemple ! Mais il pourrait aussi, dans un recueil de textes en ancien français du XIIIe siècle, mettre en lumière les termes les plus usités. De la même manière, il est aussi capable d’analyser des entretiens menés par des sociologues… Outre la rapidité de la réponse, Cassandre permet d’explorer les textes de façon transversale et peut même révéler des éléments insoupçonnés. Par ailleurs, ce logiciel donne accès au corpus à tous ceux qui y sont autorisés et, par là, facilite le dialogue et la controverse scientifiques.

Le 15e jour : Votre logiciel est-il déjà opérationnel ?

Ch.L. : Bien sûr, il est en ligne depuis deux ans et nous avons déjà établi des partenariats avec quelques grandes administrations, dont le Service public fédéral des finances. Le secteur privé n’est pas en reste : CMI a opté pour cette plateforme afin d’analyser ses fonds documentaires et de constituer un annuaire des spécialisés de leur entreprise. Inutile de préciser que la plateforme est organisée pour garantir la confidentialité des utilisateurs. A l’ULg, j’ai reçu des manifestations d’intérêt émanant de chercheurs en criminologie, en sciences de gestion, en psychologie ou en géographie. Sébastien Brunet (sciences politiques) est très content du système qui a permis des discussions nourries entre chercheurs. Je suis convaincu que les historiens, les romanistes ou les philosophes pourraient également utiliser Cassandre avec profit.

Le 15e jour : Pourquoi avoir choisi le nom de Cassandre ? 

Ch.L. : C’est une référence évidente à la mythologie grecque. La déesse Cassandre était frappée d’une double malédiction : elle voyait l’avenir et tout le monde faisait fi de ses prédictions. C’est un peu le complexe du sociologue qui n’est pas toujours pris au sérieux. Mon logiciel a justement l’intention de désamorcer ce complexe en donnant accès aux textes et aux analyses. Bref, en “objectivant” nos conclusions.

Propos recueillis par Patricia Janssens


Photo: © Sial 

 

Journée d’étude sur les logiciels d’analyse qualitative

 

Le vendredi 22 février, à 9h, salle du conseil de l’Institut des sciences humaines et sociales (bât. B31), Sart-Tilman, 4000 Liège

Contacts : courriel Christophe.Lejeune@ulg.ac.be, site http://analyses.ishs.ulg.ac.be/liege_2008/
  
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