Février 2008 /171
Février 2008 /171

Liaison ambiguë

Art&fact se penche sur les relations artistes-institutions

 

Le 26e numéro de la revue Art&fact vient de paraître sous la direction de Julie Bawin, chargée de recherches FNRS à l’université de Liège. Consacré à l’art actuel et à ses institutions, il se veut une véritable réflexion sur la spécificité du statut d’artiste et de ses œuvres au sein des structures dites officielles. 

Bonnes et mauvaises intentions

 « De l’indifférence à la banalisation en passant par les temps de crise, l’histoire des relations entre art et institutions n’est ni fluide dans son enchaînement, ni perméable dans sa compréhension », développe Julie Bawin. Dans les années 1960 et 1970, leurs rapports sont plutôt houleux et, comme l’explique la chercheuse, « marqués par l’émergence de pratiques artistiques mal intégrables dans le marché et se développant délibérément hors des espaces traditionnels d’exposition ». Mais la décennie suivante marque un tournant décisif et un total revirement de situation. L’heure est, cette fois, à l’euphorie marchande. Les institutions achètent en masse, sans véritable réflexion sur le classement, la gestion ou la conservation. Les intentions sont bonnes, mais les liens qui se tissent sont plutôt fragiles. Dresser le bilan de cette liaison ambiguë qu’entretiennent art et institutions du XIXe siècle à nos jours, c’est l’objectif que s’est fixée la directrice scientifique du numéro. A travers une démarche à la fois critique et historique, sociologues, conservateurs, curateurs, marchands, plasticiens, historiens de l’art, d’ici et d’ailleurs (Etats-Unis, Canada), prennent tour à tour la parole. Chaque texte affirme sa singularité théorique et, dès l’avant-propos, le ton est donné : quelle est la nature de ce rapport ? Touché dans son essence même, oscillant entre musée et marché, l’artiste est-il “de sujétion, d’opposition ou de conciliation” ? Véritable outil d’instrumentalisation de l’art actuel, le musée est lui aussi remis en cause dans son concept même de collections. En pleine mutation, confronté à des technologies nouvelles qui sont par nature éphémères et immatérielles, il voit apparaître d’autres pratiques de conservation. 

Objets d’art

 

Plus qu’une simple illustration, la couverture conçue par l’artiste liégeois Éric Duyckaerts et illustrant une performance présentée à la 52e Biennale de Venise, se veut, elle aussi, réflexive. « Elle tente d’engager une discussion sur les relations complexes que l’art vivant entretient avec ses institutions », relate Julie Bawin. Quant à la conception d’œuvres originales éditées pour accompagner la revue, elle a été confiée à deux plasticiens réputés pour leur approche critique du système institutionnel : Jacques Charlier et Toma Muteba Luntumbue. Le premier affirme sa foi dans l’art à travers l’affiche “Pourquoi l’art ? Et pas autre chose…”, qui n’est pas sans rappeler celles de la propagande soviétique. Elle est accompagnée d’un cd où l’artiste clame haut et fort son manifeste : « On croit lutter pour l’art, on meurt pour son marché. » Le second s’attaque, quant à lui, au stéréotype en usage dans l’art – surtout africain – en détournant le marchandising muséal et en proposant des tasses aux motifs coloniaux. Ces séries limitées, signées et tirées à très peu d’exemplaires, ont pour but de faire connaître et de mettre en évidence l’originalité d’un travail, d’une démarche, d’une réflexion sur le système artistique et son mode de fonctionnement. Elles sont également, et cela sans conteste, un merveilleux moyen de jeter un pont entre l’artiste et l’académicien, entre l’art et l’Université.

 

Martha Regueiro 

 

Julie Bawin (dir). “L’art vivant et ses institutions”, Art&fact, Liège, n°26, décembre 2007.Informations : site www.artfact.ulg.ac.be
Facebook Twitter