Février 2008 /171
Le mythe de d’AnnunzioTraces de l’écrivain dans l’imaginaire européenDe Gabriele d’Annunzio, on retient en général aujourd’hui que, de 1919 à 1920, il occupa par la force avec les arditi la ville de Fiume, l’actuelle Rijeka en Croatie. Et que, durant la Première Guerre mondiale, partisan de l’adhésion de son pays à la cause des Alliés, il s’illustra par sa bravoure en tant qu’aviateur : son raid sur Vienne, au cours duquel il bombarda des tracts destinés à ridiculiser l’ennemi autrichien, est resté dans le souvenir de bon nombre d’Italiens. Il faut dire que cet écrivain prolifique, né en 1863 à Pescara et qui prit volontiers la posture d’“esthète armé”, a amplement contribué à bâtir sa propre légende, ce qui explique qu’il soit resté bien vivant dans l’imaginaire de l’Italie et de l’Europe. « C’est la persistance de ce personnage dans les 70 ans qui nous séparent de sa disparition en 1938 que nous allons examiner au cours du colloque des 19 et 20 février prochains », précise Luciano Curreri, professeur de langue et de littérature italiennes à la faculté de Philosophie et Lettres, organisateur de ces deux journées. Au cours de cette rencontre*, le mythe du poète et romancier, plus que son œuvre elle-même, sera donc analysé par le menu, investigation qui se fera dans une perspective interdisciplinaire et comparatiste. Pas moins de 12 universités et centres de recherches – représentant six nations dont la Belgique – participeront au colloque. « Les intervenants ne seront pas de trop pour examiner dans tous les aspects les innombrables traces laissées par la figure de d’Annun-zio dans la mémoire collective italienne et bien au-delà », ajoute le Pr Curreri. De 1889, année de parution de son premier roman – Il Piacere, traduit cinq ans plus tard en français sous le titre L’Enfant de volupté – à la publication en 1935 de son journal intime, il a couvert par la variété de ses écrits un impressionnant champ littéraire, associant en maestro vie amoureuse agitée, énergie physique et dynamisme intellectuel.En fait, c’est dès son vivant qu’il devient un personnage. Toute une fiction historico-politique s’empare également très tôt de lui, dans laquelle on laisse entrevoir qu’il aurait pu peser de façon déterminante sur la destinée de son pays. Son emphase nationaliste a-t-elle constitué une préfiguration du fascisme et est-il permis de le considérer comme un pré-fasciste ? « Pas vraiment, répond le Pr Curreri, même si son comportement politique a pu paraître parfois ambigu. A Fiume, par exemple, il était plus proche des syndicats et du monde ouvrier que de la droite propement dite. Par ailleurs, au lendemain de l’assassinat de Matteotti en 1924, il critique ouvertement Mussolini, n’hésitant pas au contraire d’un Pirandello à lui témoigner du mépris ainsi qu’au régime qu’il institue. Et à sa mort, enfin débarrassé de la statue de commandeur qu’il incarnait, le Duce – de 20 ans son cadet – semble dire « finalmente… », aveu symptomatique lourd de signification. » Du reste, devenu plus solitaire avec l’âge, il ne choisit pas Rome pour s’installer, mais le lac de Garde où, dans sa villa du Vittoriale, il reste certes un esthète, mais cette fois définitivement armé de dictionnaires. Il ne quittera pratiquement plus sa résidence lombarde jusqu’à son dernier souffle, tenant à en faire cadeau à ses compatriotes. De nos jours, elle est devenue un musée, lieu privilégié où le livre est roi et témoin d’une aventure humaine et culturelle peu commune. Dans son ouvrage Poète à la barre (2003), Alessandro Barbero, écrivain et professeur à l’université du Piémont oriental qui sera présent à Liège, rend compte du parcours hors pair de d’Annunzio. Lequel déclara un jour, dans une formule alliant narcissisme et ton sentencieux : « Ce que j’ai, c’est ce que j’ai donné. » Henri Deleersnijder * Rencontre organisée avec l’aide de l’ULg, de la faculté de Philosophie et Lettres, du FNRS, de la Communauté française, du Consulat Général d’Italie et de l’Elicai, de la Société Dante Aglieri.
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