Trois questions à Grégory Cormann et à Antoine Janvier

A propos de “Pédagogie Nomade”

 

Grégory Cormann et Antoine Janvier sont respectivement assistant et aspirant FNRS au département de philosophie.

 

Le 15e jour du mois : En septembre 2008, une école d’un genre nouveau ouvrira probablement ses portes près de Gouvy, à Limerlé. Plusieurs chercheurs du département de philosophie de l’ULg participent à cette mise en place. Qu’en est-il ?

Antoine Janvier : Une école secondaire expérimentale devrait accueillir 60 élèves dès la rentrée prochaine. Il s’agira d’une implantation de l’Athénée de Vielsalm qui proposera une voie différente de l’enseignement général en Communauté française pour les élèves de 4e, 5e et 6e années. Que signifie “différente” ? Une école fondée sur le principe d’égalité entre professeurs et élèves, qui vise à rendre le goût d’apprendre aux élèves insatisfaits ou rejetés par le système traditionnel. “Nous”, c’est “Pédagogie Nomade” : un collectif d’enseignants, d’éducateurs, de chercheurs en philosophie, d’étudiants, et de personnes intéressées par les questions d’éducation. Il y a deux ans, nous avons découvert une série d’écoles expérimentales françaises inconnues en Belgique, dont les structures permettent un exercice effectif du principe d’égalité entre profs et élèves. Soutenue par la Communauté française, une équipe de Pédagogie Nomade a exploré ces écoles. À partir de là, nous avons élaboré un projet belge. Notre utopie, en ce sens, n’est paradoxalement pas utopique : ce type d’école existe bel et bien. Le lycée expérimental de Saint-Nazaire fut notre “modèle”en raison de la radicalité avec laquelle il met en oeuvre le principe d’égalité. Le coeur de l’école Pédagogie Nomade, le Conseil d’istitution (une sorte de Pouvoir oganisateur), est directement repris au lycée de Saint-Nazaire. Cogéré à égalité par profs et élèves, c’est l’organe “législatif”de l’école : y sont prises toutes les décisions concernant les structures de l’établissement et la vie scolaire. Seul un consensus entre les deux parties autorise d’entériner une décision : le pouvoir des élèves équivaut donc à celui des professeurs.Nous avons rédigé le projet d’école durant l’hiver 2006-2007. Des personnalités comme Philippe Meirieu, Isabelle Stengers ou Jacques Rancière y ont apporté leur appui. Le projet final a été déposé en février 2007 au cabinet de la ministre Marie Aréna. 

Le 15e jour : Quel type de pédagogie sera appliqué dans cette école ?

Grégory Cormann : Pédagogie Nomade propose un dispositif éducatif visant à former des citoyens libres et responsables par l’exercice même de cette liberté et de cette responsabilité. On peut le résumer en trois axes : la prise de parole et l’apprentissage du débat, une transformation du rapport des élèves et des professeurs au savoir, la prise de responsabilités.

Concrètement, le premier axe est principalement mis en œuvre dans le Conseil d’institution. Le deuxième passe par une organisation spécifique des cours, selon deux aspects. D’une part, les cours sont donnés en duo, dont un professeur “ignorant”de la matière enseignée : par exemple, un cours de maths donné par un scientifique et par le professeur de gymnastique ou un cours de littérature enseigné par les professeurs de français et d’anglais; c’est là une véritable pratique interdisciplinaire des savoirs qui a en outre le mérite de compliquer le partage entre savants et ignorants. 

D’autre part, les enseignements sont répartis entre les cours de niveau, dédiés au programme de l’enseignement secondaire général, les cours de remédiation ou d’approfondissement, en fonction des besoins des élèves, et les ateliers conçus et cogérés par les élèves et les professeurs. Précisons que si les élèves sont tenus d’être à l’école, ils peuvent choisir les cours qu’ils estiment nécessaires. Il est donc possible que les élèves des trois “niveaux” soient mélangés, surtout dans les deux derniers types de cours. Enfin, le troisième axe pédagogique apparaît autant dans les ateliers, où les profs et les élèves élaborent leurs savoirs en commun que dans ce que nous appelons les groupes de base, lesquels assurent la gestion de l’école au quotidien : cuisine, nettoyage, contacts avec l’extérieur, etc.

 

Ces trois axes sont l’occasion de mettre en œuvre des savoirs multiples, théoriques et pratiques, individuellement ou collectivement. En ce sens, “tout est apprentissage”, aussi bien les moments “politiques”, la cuisine ou le nettoyage que les cours à proprement parler.

Le 15e jour : Quel fut votre rôle ?

A.J. et G.C. : Dès le début, nous avons organisé une table ronde à l’ULg, autour des résultats donnés par les premiers voyages. L’enthousiasme des membres du département se concrétisa par la participation de plusieurs d’entre nous à la rédaction du projet d’école, qui a abouti à une seconde table ronde, début 2007. La collaboration s’est poursuivie autour de la publicité du projet : une projection-débat au cinéma Le Parc qui a réuni 400 personnes a eu lieu en septembre 2007 et, tout récemment, le journal Le Soir a consacré deux pages au projet. Nous avons également entrepris un travail nécessaire à la réalisation de l’école avec l’Administration générale de l’enseignement. De plus, à partir de cette année, un cours de philosophie politique de l’éducation sera organisé à l’ULg et à Limerlé (à “Périple en la demeure”, l’absl d’où tout est parti, futur lieu d’implantation de l’école). Enfin, nous organiserons avec les didacticiens de notre Faculté une table ronde en avril, où nous croiserons nos expériences.

Notre implication dans ce projet est sans doute due à notre conception de la philosophie : selon nous, elle doit être soucieuse de tels foyers d’inventions sociales, culturelles ou politiques pour y prendre part, dans la mesure de ses moyens. À cet égard, la collaboration avec Pédagogie Nomade nous semble une réussite.  Propos recueillis par Patricia Janssens