
L’étude des sciences du langage a toujours fasciné l’être humain et pour cause, “il semble communiquer aussi naturellement qu’il mange ou respire. Mais cette simplicité apparente dissimule des mécanismes élaborés que les cultures créent et imposent. Au cœur de ces mécanismes : la signification”. Ces quelques phrases préfacent le livre Précis de sémiotique générale du Pr Jean-Marie Klinkenberg, un des piliers du Groupe µ encore en activité. Voie médiane entre le cognitivisme de la sémiotique américaine et le textualisme de l’Ecole de Paris, le Groupe µ a très tôt introduit des préoccupations cognitives, mais aussi esthétiques et socio-communicationnelles fécondes dans une théorie sémiotique qui jusque-là était restée surtout formelle.
Le Groupe µ a joué un rôle scientifique de premier plan dans le monde entier, en proposant des théories originales, souvent avant-gardistes. Ses travaux ont toujours été considérés comme fondamentaux, tant pour leurs propositions théoriques innovatrices que pour les méthodologies qu’ils induisent. A la fin des années 60, il s’est principalement attelé à des questions de poétique. Avec Rhétorique générale (1970), il s’agissait surtout de mettre en évidence des structures très générales qui font d’un complexe linguistique une occurrence littéraire. Avec Rhétorique de la Poésie (1977), il commence à étudier la signification rhétorique d’un énoncé, tant dans sa dimension cognitive qu’à partir de son support d’inscription.
« C’est un travail énorme qui montre comment la poésie manifeste par sa topologie des stratégies rhétoriques différentes de la prose », relate Maria Giulia Dondero, collaboratrice scientifique post-doc au FNRS et organisatrice du colloque. Ayant pour but l’élaboration d’une rhétorique générale applicable à différents domaines, le Groupe µ étend la notion de figure à d’autres familles d’énoncés comme l’image ou le cinéma. Dans Traité du signe visuel. Pour une rhétorique de l’image (1992), il analyse différents champs d’étude de l’image de sa perception jusqu’à son utilisation sociale. Dans cet ouvrage, les sémioticiens construisent une théorie systématique du support et avancent la notion de texture. « Ils ont été les seuls à avoir, dans les années 90, théorisé des paramètres de la visibilité. Ni les médiologues, ni les théoriciens de l’art n’ont pu systématiser cette notion de façon aussi heuristique », insiste la chercheuse.
Une des particularités du groupe est la multidisciplinarité qui le compose. Tout au long de leur travail, ses membres ont su intégrer une démarche collective et créer une interface commune à chaque discipline.
« Cette multidisciplinarité a rendu possible la complexité de leur pensée. Elle leur a permis de systématiser et d’approfondir des voies de recherche qui n’auraient pas pu être explorées sans ce décloisonnement disciplinaire, poursuit Maria Giulia Dondero. Elle rend compte de l’honnêteté intellectuelle certaine et du grand respect réciproque de ses membres. »
En avril, c’est dans leur fief de Liège qu’un colloque ouvrira aux amateurs les portes de 40 années de recherche et d’innovation collective. L’occasion de mener une réflexion sur l’avenir de la sémiotique ainsi que sur la rhétorique moderne. L’état de santé de ces deux disciplines, les convergences et les divergences qui les constituent et les nourrissent seront tour à tour analysés par les plus éminents spécialistes. Parmi eux figureront le Pr Jean-Pierre Bertrand (ULg), Michel Meyer (ULB), Jacques Fontanille (université de Limoges), Louis Hébert (université du Québec à Rimouski) et Georges Roques (EHESS, Paris).
Martha Regueiro
| Vendredi 11 et samedi 12 avril, dès 9h Colloque international “Le Groupe µ. Quarante ans de recherche collective” Salle Lumière, place du 20 Août 7, 4000 Liège Organisé par Maria Giulia Dondero et Sémir Badir, de l’ULg ainsi que par Göran Sonesson, de l’université de Lund. Contacts : tél. 0473.51.49.83, site www.arthist.lu.se/kultsem/AISV/aisv_mu.htm#quarante |