Mars 2008 /172

Sésame pour la politique

Projet liégeois autour de la mer Noire et de la Méditerranée

   

Lorsque l’argent parle, la vérité se tait. Passant outre la longue prévalence de ce vieux proverbe togolais et ses conséquences sur le fragile équilibre des ressources naturelles, le projet européen Sesame (Southern European Seas Assessing and Modeling Ecosystem changes) consiste en un vaste programme au net ancrage océanologique, mais résolument pluridisciplinaire. Il vise, en collaboration avec une cinquantaine de partenaires scientifiques européens et internationaux (russes, israéliens ou tunisiens), à mettre en corrélation la globalité des données scientifiques récoltées ces 50 dernières années en Méditerranée et en mer Noire et le contexte socio-économique des régions qui bordent cet ensemble. 


 Esprit de convergence 

De part et d’autre du trait d’union que constitue le détroit du Bosphore avec la mer Egée, c’est une vingtaine de pays (de la Turquie à l’Ukraine) qui a partie liée avec les écosystèmes marins à travers l’industrie, la pêche, le tourisme, la préservation de la biodiversité ou l’observation de changements climatiques. Dans cette disposition géographique bigarrée, le projet Sesame vise à évaluer un ensemble de situations et à émettre des prévisions claires, par-delà les clivages et les atermoiements économiques ou politiques. 

« Cela va un peu à l’inverse du climat politique belge actuel », constate en souriant Marilaure Grégoire, chercheur qualifié FNRS. Avant de poursuive plus sérieusement : « Ici, la volonté est de rassembler les compétences et les énergies dans un esprit de convergence. Au-delà de l’étude des écosystèmes, il s’agit de mettre en évidence les biens et services qu’ils fournissent à la collectivité. Et de les mesurer, grâce au travail des socio-économistes qui font parie intégrante du projet. Jusqu’à présent, ces aspects ne représentaient qu’un petit paragraphe dans nos rapports. » 

Rosette
Photo: A. Borges

La rosette permet d'échantillonner de l'eau pour des analyses chimiques et biologiques à différentes profondeurs grâce aux bouteilles "Niskin"



Chargée de l’aspect “modélisation”, la chercheuse souligne également la mise en évidence du côté appliqué de ces recherches dans une optique prévisionnelle, dans la mesure où « il n’est pas utopique de penser que l’on puisse, par exemple, quantifier la diminution de l’activité touristique consécutive à une prolifération de méduses ou à une diminution de la transparence des eaux ». Avec une marge d’erreur « semblable aux prévisions météorologiques », souligne le Pr Jean-Marie Beckers, ayant en charge les aspects plus physiques tels que la circulation des eaux et leurs dynamiques spécifiques. Le décideur politique pourra savoir à quels facteurs il doit s’attaquer pour préserver un certain équilibre. 

Sur le terrain, c’est Alberto Borges, un autre chercheur qualifié FNRS, qui participera en 2008 à deux campagnes consécutives à bord du Bilim. Après mars, c’est au mois d’octobre que le navire océanographique turc effectuera, avec 10 chercheurs à son bord, son deuxième parcours reliant le sud de la Turquie à la mer Noire. Les différentes mesures effectuées reposeront sur des prélèvements d’eau, des mesures du phytoplancton, du CO2 contenu dans l’air et dans l’eau… et des fameux nutriments. « Une partie de l’absorption du CO2 par l’océan dépend de la photosynthèse des algues. L’augmentation des nitrates (nutriment nécessaire à la croissance des algues) dans les zones côtières, provenant des engrais de l’agriculture charriés par les rivières, accroît la quantité de ces algues. Le rôle des socio-économistes va être d’augurer de l’évolution quantitative des populations et des pratiques agricoles qui, intégrée dans un modèle théorique développé par Marilaure et ses collègues, permettra de présenter un scénario d’augmentation ou de diminution de ces algues et par conséquent de fixation ou relargage de CO2. Pour lors, il est essentiel de collecter un maximum de données et de les uniformiser. »


Enjeux politiques et financiers


Cet ambitieux projet global de 10 millions d’euros (dont 500 000 pour Liège), initié par la Commission européenne, semble en tout cas déjà prêt à cheminer dans les aspirations politiques, lorsqu’il s’inscrit dans d’importants enjeux financiers. « L’année passée, les Espagnols ont perdu des millions d’euros à cause de la prolifération de méduses. A l’aide des modèles théoriques, et des enquêtes sur le terrain, ce genre de phénomène pourrait être prévu », pense Alberto Borges. La science est parfois aussi en vacances.

  

Fabrice Terlonge

   
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