
Forgé au départ des termes “flexibilité” et “sécurité”, le néologisme “flexicurité”, à l’heure actuelle, sent le soufre en Europe. D’aucuns l’ont en effet rangé immédiatement dans la catégorie “fin du salariat”, “règne du marché économique sauvage”, “prime au patronat”, etc. De quoi s’agit-il ?
« Le concept est né dans les années 90 aux Pays-Bas, explique Virginie Xhauflair, chercheuse au laboratoire d’études sur les nouvelles technologies de l’information, la communication et les industries culturelles (Lentic). Il résulte d’une réforme du marché de l’emploi qui visait à garantir à la fois une plus grande flexibilité du travail pour les employeurs et, de façon synchronique, une plus grande sécurité pour les travailleurs. » En résumé, il s’agit de concevoir un dispositif qui s’efforce de remédier aux risques de dérégulation de l’emploi, dans un contexte de pressions économiques et d’exigences de flexibilité.
« Selon le modèle danois, la flexicurité implique des accords durables et formalisés entre l’Etat, les entreprises, les salariés et leurs représentants, continue la chercheuse. On ne met guère d’entraves aux recrutements et aux licenciements, soit aux besoins de flexibilité des entreprises, mais on compense par des efforts publics pour former intensivement les salariés, les protéger financièrement et les responsabiliser dans une démarche active de retour à l’emploi. On sécurise moins les emplois en tant que tels que les transitions qui jalonnent la vie professionnelle. » Cette nouvelle approche fait l’objet de nombreuses analyses macro-économiques, dans une perspective de transfert du “modèle”.
Par contre, la réalité du terrain est peu connue, et caractérisée par diverses pratiques nouvelles, souvent peu (ou pas) encadrées par la loi. Un exemple ? Beaucoup de secteurs industriels dans nos régions connaissent des “pics de production”. Pour ces entreprises, le recours aux travailleurs temporaires est la seule solution. Cela présente des avantages en termes de flexibilité, mais aussi des inconvénients comme la précarisation des travailleurs et la difficulté à recruter des agents compétents, lesquels sont plutôt enclins à rechercher des contrats stables. Deux entreprises – Viangros et Léonidas – se sont associées dans le cadre d’un “groupement d’employeurs”, appelé Jobiris, lequel est en mesure d’offrir aux salariés des deux entités du travail à temps plein toute l’année : six mois pour les chocolats, six mois pour la viande. Inutile de dire que cette solution agrée et les employeurs et leurs employés. « C’est ce que l’on appelle la mutualisation des ressources humaines », explique le Pr François Pichault, directeur du Lentic.
En collaboration avec des centres de recherches français et hollandais, le Lentic a lancé en 2006 un projet d’investigation basé sur l’observation et l’expérimentation de ces pratiques en la matière, projet financé par l’Union européenne (Flexicurité, mode d’emploi). Trois chercheurs du Lentic, sous la supervision de François Pichault, ont ainsi uni leurs efforts afin de redéfinir – sans idéologie – la notion de flexicurité, mais aussi de repérer les initiatives qui peuvent être rangées sous cette bannière et d’analyser les dispositifs d’emploi innovants. « Comment peut-on faire émerger des processus de mutualisation ?, s’interroge la chercheuse. C’est en partant de ce qui existe ici et ailleurs que notre équipe a pu déterminer des critères favorables et ainsi concevoir un outil pédagogique encadrant l’action des protagonistes du marché du travail. »
Arrivé à son terme, le projet a bien sûr suscité d’autres champs d’investigation et le Lentic, fidèle à sa méthode de “recherche-action”, entend s’engager plus avant afin d’accompagner le processus d’innovation en gestion des ressources humaines. La création d’un “centre de ressources pour emplois partagés” est dans l’air.
Patricia Janssens
Photo: ULg - Jean-Louis Wertz
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