"Recherche étudiant innovant, enthousiaste, ayant le sens de l'amusement, doué pour la communication et motivé par l'accomplissement de challenges". A 22 ans, le regard clair et empathique attaché à son téléphone portable sophistiqué, Dimitri Lapière est l'archétype du student brand manager traqué par le biais de petites annonces, sur les campus universitaires anglais, par les sociétés de recrutement axées sur les activités de marketing. Ce job d'étudiant, enfanté par les entreprises ciblant une jeune clientèle, est tricoté du même fil : expertise sur les comportements et le style de vie estudiantins, contact actif avec les leaders étudiants, soutien d'événements sur le campus, activation de relais médiatiques et représentation active de la marque sur place.
« En clair, je joue un peu le rôle d'antenne pour la société que je représente », résume Dimitri. Cet étudiant inscrit en 1er master de sciences politiques, travaille en effet depuis deux ans pour une marque de boissons dites énergétiques. « Je propose mon aide à tous les cercles d'étudiants qui souhaitent organiser des activités originales telles que des soirées ou des événements ludiques, poursuit cet affable pour qui la célérité semble être un dogme. Comme la soirée Dow Jones des HEC, où le prix des boissons était fonction de l'offre et de la demande. Mais mon travail ne consiste pas à leur vendre un produit. Il s'agit plutôt de leur prodiguer une aide et des tuyaux, grâce à ma bonne connaissance des ficelles de l'organisation de soirées ou mes bons contacts. » Présentée sous cet angle, la fonction se veut séduisante. Pourtant, derrière le job « payé comme un étudiant qui travaille dix heures par semaine dans un café » et présenté comme une excellente opportunité de concrétiser certaines notions théoriques ou de pouvoir valoriser plus tard une expérience professionnelle au cours de ses études, se loge un hiatus que certains dénoncent avec véhémence.
Cette « multinationale emploie des student brand managers locaux pour animer l'événement et veut se donner bonne figure en proposant des activités moralement acceptables (...), dissimulant ainsi son véritable objectif publicitaire pour s'introduire, tel le cheval de Troie, au cœur de l'Université », pointait-on sur le site internet acontrecourant.be à la suite d'un concours de lâchers d'œufs, organisé l'année passée en collaboration avec les restaurants universitaires et hautement sponsorisé par ladite marque de boissons. Et de rappeler que les intrusions commerciales ou publicitaires demeurent strictement interdites dans les établissements scolaires, selon l'article 41 du Pacte scolaire de 1958. La réponse du recteur Bernard Rentier cristallise le problème : « Il s'avère que cette activité sponsorisée n'a pas rempli la vocation didactique initialement annoncée mais se soit transformée en une intrusion commerciale flagrante sur notre campus universitaire, assortie d'une sollicitation à la consommation et à l'achat. Je veillerai personnellement à ce que cela ne se reproduise plus. »
Ce procédé, jouant sur la frontière ambiguë entre le loisir et l'activité commerciale, est par ailleurs appliqué depuis plus de dix ans par les tour-opérateurs pour jeunes qui affichent sans vergogne dans les valves de l'Alma mater. Mais dans le cas de la boisson "énergisante", il est assorti d'une mise en garde du Centre de recherches et d'information des organisations de consommateurs (Crioc) quant au « risque de dépendance physique et psychologique et aux risques cardio-vasculaires de ces boissons très riches en caféine ».
Cela étant, tout comme l'étudiant ne semble pas sujet à l'inféodation à une marque, Dimitri Lapière ne paraît pas non plus stipendié par celle qu'il représente. Son action efficace au sein de la cellule "sponsoring" du bal de l'ULg a permis de rapporter, deux années d'affilée, l'équivalent de 20 000 euros pour la bonne cause. Avec une motivation égale.
Conscient de la nature revêche et versatile de l'étudiant face au marketing, les cinémas Kinépolis ont abandonné depuis deux ans la fonction de student brand manager auprès des étudiants. « Le concept n'était pas porteur, nous lui avons préféré le marketing par e-mail », explique Fabrice Blum, l'un des responsables. Persévérante, la marque de boissons stigmatisée par les universités francophones cherche tout de même activement un remplaçant à Dimitri, avant son départ en Erasmus l'an prochain...