De retour de l'International Advanced Mobility Forum tenu à Genève en marge du salon de l'automobile, le slogan "Keep personal individual mobility alive" de Honda s'imposait à mon esprit. Face aux défis énergétique, climatique et de réduction des polluants, tous, chercheurs et constructeurs, se sont accordés pour dire qu'une évolution vers une mobilité individuelle de qualité était nécessaire afin d'en garantir le caractère durable. Le changement est urgent, mais l'industrie automobile (environ 15% de l'activité mondiale) est un très gros bateau qui ne tourne pas facilement. Les virages se préparent longtemps à l'avance et les effets sur le grand public ne deviennent visibles qu'avec un retard de plusieurs années.
Toutefois, avec plus de 75 modèles de véhicules propres exposés (dont les voitures électriques, hybrides, ou utilisant des carburants alternatifs comme les biocarburants et le gaz naturel), le salon de Genève marque un pas de plus dans la création d'une palette plus large de motorisations et de carburants. Cette diversification est nécessaire pour satisfaire l'objectif de l'Union européenne recommandant 20% de substitution du pétrole dans les transports à l'horizon de 2020. Alors que les constructeurs européens surfent sur l'efficacité des moteurs diesel avec des développements nouveaux en vue de réduire leurs taux d'émission de polluants, l'utilisation de l'électricité dans le système de motorisation hybride ou électrique pur se confirme comme l'amélioration inéluctable à moyen terme. La plupart des constructeurs laissent entendre qu'ils proposeront une motorisation hybride ou électrique d'ici 2010 à 2015. Dans ce domaine, les constructeurs asiatiques semblent avoir pris une avance considérable. A côté des hybrides des marques du groupe Toyota, Honda annonce une avancée industrielle spectaculaire avec la sortie de la Clarity, premier véhicule commercial mu par une pile à combustible, disponible dès le mois de juin 2008 en Californie. Heureusement, la vieille Europe reste active dans les motorisations propres avec ses centres de recherches et ses PME. Ainsi l'ULg et sa spin-off Green Propulsion sont actives dans le prototypage de véhicules électriques, hybrides ou à pile à combustible. Espérons toutefois que cette vivacité puisse trouver un écho chez les grands constructeurs.
Comme perspective à court terme, citons la dérive alarmante de l'augmentation du poids des véhicules. Alors que la recherche de voitures moins polluantes a jusqu'à présent été centrée sur les nouvelles motorisations, il apparaît clairement que les objectifs de réduction de consommation ne pourront pas être atteints sans une réduction de la masse des voitures. Au nom de la sécurité et du confort, le poids moyen des véhicules neufs a pris près de 150 kg depuis 2000, entraînant une surconsommation de l'ordre de 0,75 l/100 km pour le parc automobile actuel. Les consommateurs devront apprendre à mieux rationaliser le choix de leur véhicule, en sacrifiant des conforts parfois accessoires tels que l'insonorisation digne d'une salle de concert ou le plaisir de rouler dans des véhicules au design attrayant mais énergétivore.
Alors que l'organisation des grands événements sportifs est une source d'émission de CO2 importante, terminons enfin par une perspective intéressante en rapportant l'initiative de la Fédération internationale de l'automobile (FIA). Son président a confirmé l'accord entre la FIA et les grandes écuries de Formule1 pour favoriser à partir de 2010, puis obliger à partir de 2013 l'utilisation en F1 de systèmes hybrides de récupération d'énergie au freinage. L'intention est de mobiliser les ressources financières et l'inventivité des ingénieurs de la compétition au bénéfice des motorisations moins polluantes et de l'industrie automobile toute entière. Saluons cette initiative qui montre la tendance actuelle du monde automobile à relancer une nouvelle dynamique pour préserver le rêve de la mobilité individuelle pour tous.
Pr Pierre Duysinx
Ingénierie des véhicules terrestres
En vertu du Protocole de Kyoto, l'Union européenne (UE) a convenu de réduire, d'ici 2008-2012, ses émissions de gaz à effet de serre de 8 % par rapport aux émissions de 1990. Si tous les secteurs ont fait des efforts pour atteindre cet objectif, il reste un gros point noir : les transports qui, eux, présentent une augmentation de 25 % entre 1990 et 2005. Bien consciente de ces tendances, l'UE prend diverses dispositions pour répondre à ce qu'elle considère être une "urgence climatique". Ainsi, dès 1996, les Etats membres de l'UE et le Parlement européen approuvent une "stratégie communautaire" ambitieuse : en 2005 (2010 au grand plus tard), la moyenne des émissions de CO2 des véhicules neufs mis sur le marché dans l'UE ne pourra excéder 120g par km. Mais voilà, cet objectif a été affaibli à plusieurs reprises.
En 1998, l'Association des constructeurs européens d'automobiles (Acea) négocie fermement avec la Commission, laquelle lui fera deux grandes concessions. Primo, l'objectif de 120 g CO2/km sera reporté de deux ans, à 2012, avec un objectif intermédiaire de 140 g CO2/km pour 2008. Secundo, l'accord entre les deux parties sera "volontaire" : pas de sanctions, donc, en cas de non respect... On sait aujourd'hui que l'objectif intermédiaire de 2008 ne sera pas atteint. Sensible aux arguments économiques du lobby allemand de la voiture, le Parlement propose désormais un objectif une nouvelle fois affaibli de 125 g CO2/km en 2015.
Dans le même temps, canicules, hivers printaniers sans neige, Katrina et Al Gore participent à une prise de conscience des enjeux environnementaux. Sous cette pression, les constructeurs se sont adaptés et développent toute une panoplie de véhicules "verts", avec des technologies "bonnes pour la planète" dont, notamment, le "BioPower" qui tente de nous faire gober que raser des forêts équatoriales pour alimenter en fourrage nos véhicules européens est une bonne chose et "ne rejette pas de CO2". Alors que plus d'un milliard d'individus sur cette planète souffrent de malnutrition, et que raser des ressources forestières tropicales diminue chaque jour la capacité de séquestration de ce grand puits de carbone, on croit rêver ! Mais on laisse aller.
Or, pour promouvoir leurs véhicules "propres", les constructeurs doivent passer par les médias. Hélas, l'analyse de la publicité pour les automobiles dans la presse écrite belge montre que la volonté de promouvoir les véhicules peu émetteurs de CO2 est vraiment très timide : 4% de l'ensemble des publicités automobiles les concerne alors que 28% des pubs vantent les qualités des véhicules "très polluants".
Mais le plus incroyable ne réside pas tant dans la pub majoritairement orientée vers les tracteurs urbains de deux tonnes, mais surtout dans le non-respect flagrant des lois. Intrigué par la taille minuscule des caractères utilisés pour la consommation de carburant et les émissions de CO2, nous nous sommes rendus compte que ces mentions étaient régulées par une directive européenne datant de 1999 et traduite dans le droit belge en 2001, qui n'est pas respectée dans 99 % des pubs. Le cas belge n'est pas isolé; la directive européenne n'est respectée dans aucun pays de l'UE. Que dit cette directive ? Que pour informer les citoyens sur la consommation de carburant et les émissions de CO2 des véhicules, ces données doivent être facilement lisibles et au moins aussi visibles que la partie principale des informations figurant dans la publicité. Il faut une loupe pour distinguer ces informations dans les quotidiens...
Fort de cette étude, un consortium d'ONG s'est formé pour attaquer tous les constructeurs dans les 27 pays de l'UE. Mais le plus navrant, c'est que sept années se sont écoulées et ont été perdues, alors qu'il y a plus de 270 millions de véhicules dans l'UE et que l'urgence climatique est bien réelle.
Pierre Ozer
Département des sciences et gestion de l'environnement