Avril 2008 /173
Trois questions à Vincent Castronovo et Akeila BellahcèneNouvelle approche de l'évolution du cancer
© J-L Wertz
Vincent Castronovo est professeur à la faculté de Médecine et responsable du Giga-Cancer. Akeila Bellahcène est chercheur qualifié au FNRS.
Le 15e jour du mois : Vous publiez un grand article dans Nature Reviews Cancer*. C'est une première ? Vincent Castronovo : C'est certainement une première pour notre laboratoire **! Nous sommes donc particulièrement fiers de publier dans cette revue d'excellente renommée une synthèse de nos recherches sur le rôle des protéines "Siblings" dans le cancer. Cet article représente une reconnaissance au plus haut niveau international de nos travaux qui concernent cette famille de protéines auparavant considérées comme spécifiques des tissus minéralisés. Or, nous avons démontré que, loin d'être cantonnées au squelette, ces protéines jouent un rôle majeur au cours de la progression de la plupart des cancers. Vous savez, le cancer est une maladie de la cellule. Dans le corps humain, à chaque instant, au cours d'un processus parfaitement contrôlé, les vieilles cellules meurent tandis que d'autres les remplacent. Si les cellules se multiplient sans contrôle ou si les anciennes ne disparaissent pas mais, au contraire, prolifèrent, l'équilibre est rompu. Les cellules "dissidentes" entrent alors en guerre contre l'organisme, elles s'y accumulent et l'envahissent. A l'intérieur de chaque cellule, plusieurs gènes surveillent le processus. Mais des anomalies internes, dues notamment à des molécules ou des rayonnements cancérigènes, peuvent provoquer la perte du contrôle de la prolifération cellulaire. Des cellules anormales sont alors produites, lesquelles, à leur tour, se multiplient dans une totale anarchie et s'échappent parfois de leur lieu d'origine pour atteindre d'autres parties du corps grâce aux vaisseaux sanguins et au système lymphatique. Elles forment ce que l'on appelle des "colonies secondaires", les métastases. Or que remarque-t-on ? A plus ou moins long terme, après un cancer du sein, des patientes développent des métastases osseuses, fréquemment mortelles, toujours douloureuses. Nos recherches ont montré que les cancers "primaires", dont les cellules expriment des protéines de nature osseuse, ont une très forte propension à former des métastases squelettiques. Le 15e jour : Prévenir l'expression de ces protéines réduirait fortement les risques de récidive ? Akeila Bellahcène : Très probablement. Depuis une quinzaine d'années, le laboratoire de recherches sur les métastases s'intéresse au rôle de ces protéines de la matrice osseuse secrétées par des cellules cancéreuses. Nous avons démontré que les cellules cancéreuses utilisent ces protéines "Siblings" pour "faciliter" le dialogue avec les tissus osseux. En quelque sorte, grâce à ces molécules, la cellule métastatique se déguise en cellules de type osseux pour s'installer dans le tissu minéralisé. Dans certains cas, elle y restera quiescente; dans d'autres, elle élaborera des métastases qui rongeront l'os et causeront de lourds dégâts. L'intérêt de nos travaux est de démontrer que les cellules cancéreuses ne vont pas se disséminer au hasard, mais bien se fixer dans un milieu qui leur convient, confirmant ainsi la théorie de "la graine et le sol" proposée par Sir Paget au XIXe siècle. La famille des Siblings constitue manifestement une pièce centrale de ce mécanisme : on les retrouve à chaque étape de l'évolution de la pathologie (angiogenèse, invasion, survie, etc.). Dans la mesure où elles jouent un rôle majeur dans le développement de la maladie, elles deviennent aussi une cible privilégiée pour un traitement intelligent du cancer. D'ailleurs, des études chez l'animal démontrent que l'inhibition de l'expression des Siblings empêche le développement des métastases osseuses. Le 15e jour : Ces découvertes ouvrent de nouvelles voies thérapeutiques ? V.C. et A.B. : Non seulement nos travaux ouvrent un nouveau champ d'investigation pour la compréhension du développement du cancer mais ils pourraient avoir, dans un proche avenir, des implications concrètes pour les médecins et leurs patients. En effet, le taux de protéines osseuses exprimées par un cancer est prédictif du risque pour la patiente de développer des métastases. Un tel dosage pourrait ainsi permettre d'affiner le pronostic d'évolution de la maladie. Ces informations devraient déboucher sur un traitement plus efficace et mieux ciblé, car les médecins pourront freiner l'évolution de la maladie grâce à l'utilisation de nouveaux outils thérapeutiques comme des anticorps spécifiques capables d'interrompre le processus métastatique. Mais nous n'en sommes pas encore à ce stade. Aujourd'hui, nous initions un projet préclinique utilisant des modèles expérimentaux chez l'animal, notamment grâce à un nouvel appareil d'imagerie in vivo acquis au Giga-Cancer qui permet d'évaluer l'efficacité de ces traitements chez les petits rongeurs sans recourir à l'autopsie. Une occasion supplémentaire pour nous réjouir de la création du Giga qui rassemble plusieurs équipes de recherche dans un esprit de liberté et de créativité, lequel favorise à l'évidence l'excellence des travaux. Propos recueillis par Patricia Janssens * Bellahcène et al., Nature Reviews Cancer, mars 2008, 8(3) : 212-26. ** Le laboratoire de recherches sur les métastases est membre du Centre de recherches en cancérologie expérimentale (CRCE). Ce centre créé en 2000, réunissant six laboratoires et comptant près de 130 chercheurs, a récemment intégré le Giga-R et constitue aujourd'hui le Giga-Cancer dont les membres se regrouperont bientôt aux 3e et 4e étages de la tour de pathologie du CHU.
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