Mai 2008 /174

Pince-moi, j'hallucine !

Un ouvrage fait le point sur le phénomène

« Boire, à boire !... A boire !... Je n'en puis plus... » C'est alors que, épuisé, suffocant dans la fournaise de l'inextinguible désert, il bondit sur la dune pour faire sauter la tête de son ami, qu'il voyait comme le bouchon d'une énorme bouteille de champagne. Pour forcer le trait, cette hallucination du capitaine Haddock fonçant sur Tintin dans Le crabe aux pinces d'or n'en cristallise pas moins la réalité du potentiel hallucinatoire larvé chez chacun d'entre nous.

Envie et déficit sensoriel

« Même chez des sujets parfaitement sains, un problème de contrôle de la réalité est susceptible d'entraîner une confusion entre la réalité et l'imaginaire. Deux facteurs parmi d'autres peuvent amplifier ce phénomène : l'envie et un déficit sensoriel. Dans le cas illustré dans la BD de Hergé, il s'agit respectivement de la soif et de la combinaison du stress, de la fatigue et de l'angoisse. » Et ces phénomènes, parfois déroutants, touchent entre 5 et 15% des populations, selon les échantillons et autres aspects méthodologiques des différentes études épidémiologiques menées notamment à l'université de Maastricht sur une population parfaitement saine. Cette explication de Frank Laroi, assistant dans le secteur de psychopathologie cognitive de la faculté de Psychologie et des Sciences de l'éducation est, en substance, ce qui ressort de l'ouvrage intitulé Hallucinations : The Science of Idiosyncratic Perception qu'il a écrit avec le Hollandais André Aleman.

Publié par l'American Psychological Association, une des plus importantes maisons d'édition en psychologie outre-Atlantique, ce livre a pour ambition de faire l'état des lieux de toutes les recherches et avancées relatives aux hallucinations, ces 20 dernières années. « A l'échelon international, malgré bon nombre d'avancées, rien n'avait été écrit depuis 1988, précise ce Norvégien d'origine qui, même s'il doit réfléchir sur son âge, n'est pas lui-même hanté par de petites voix. Il s'agit d'une approche multidisciplinaire. D'abord empirique, qui résume l'état de la recherche scientifique. Puis clinique, lorsqu'elle présente des méthodologies d'aide aux patients qui entendent ou voient des choses irréelles. Enfin, un modèle des hallucinations est proposé. »

Très souvent observés chez les psychotiques tels que les schizophrènes mais également dans les cas de démence (maladies d'Alzheimer, de Parkinson...) ou par exemple chez des patients souffrant de désordres de la personnalité, les problèmes hallucinatoires dérivent vers des délires profonds et très négatifs comme à travers la récurrence d'un personnage ex nihilo "qui leur dit, ou leur fait du mal". Ces développements paroxystiques ne sont heureusement pas observés chez les patients sains, capables de relativiser de brefs instants où ils croient entendre leur nom ou pensent avoir aperçu une ombre en déplacement. Au milieu des travaux qu'il a lui-même menés sur des patients mentalement sains, Frank Laroi avance néanmoins l'un ou l'autre cas un peu plus marqués comme cette dame hospitalisée qui, sous l'effet de médicaments post-opératoires, croyait entendre les miaulements d'un chat... et le sentir se blottir contre son bras. Le lendemain, il s'agissait d'un serpent ! Mais une fois les séquelles de l'opération passées, et la dose de médicaments diminuée, ces drôles d'expériences avaient disparu.

Et Bernadette ?

Il s'agit également de ne pas confondre les hallucinations avec les simples distorsions de la réalité, comme celle d'un livre qui donnerait l'impression de gonfler. Car dans la mesure où l'objet existe, il s'agit d'une tout autre expérience perceptive. « Jeanne d'Arc était vraisemblablement sujette aux hallucinations, poursuit Frank Laroi. Comme c'est suggéré dans le film de Luc Besson, elle n'était pas forcément malade à 17 ans. Même si une voix l'exhortait à sauver la France. Il s'agit d'une sorte d'hallucination religieuse... interprétée comme étant la voix de Dieu. »

Et dans le cas des apparitions de Bernadette Soubirous, qui a vu la Vierge à Lourdes ? « C'est délicat, parce que les hallucinations ont une connotation négative. Mais on sait depuis l'apparition de la psychiatrie, il y a plus de 100 ans, que les hallucinations peuvent apparaître chez des personnes saines. » Et une des manières de ne pas être perturbé par les visions, les bruits ou les sensations qui n'existent pas se loge dans le contrôle de la réalité. Le traditionnel "pince-moi, j'hallucine", en somme ! Ce que les véritables patients ne sont pas toujours en mesure de faire, qui peuvent alors sombrer dans de dangereux soliloques, alimentés par les stimuli irréels d'un univers misanthrope.

Fabrice Terlonge

 hallu André Aleman et Frank Laroi, Hallucinations : The Science of Idiosyncratic Perception, APA, Washington D.C., février 2008 

 

 

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