De nos jours, la science est au cœur d’avancées technologiques spectaculaires dans les domaines les plus divers. Celui de l’art n’échappe pas à la tendance. Depuis 2003, date de sa création, le Centre européen d’archéométrie de l’université de Liège (CEA) s’attelle au développement et à l’application de méthodes analytiques et d’imagerie adaptées aux besoins particuliers de l’analyse et de la conservation des objets du patrimoine culturel. En quelques années, il est devenu un acteur majeur dans le secteur et s’est, au fil du temps, spécialisé dans l’étude du patrimoine culturel tant mobilier – examen d’œuvres d’art et d’objets archéologiques – qu’immobilier – analyse de décors monumentaux ou d’architecture. Les thématiques de recherches sont très variées et chacune d’elles pourrait d’ailleurs faire l’objet d’une exposition passionnante. Mais cette année, c’est la technique elle-même qui est mise en évidence du 2 juillet au 11 novembre à l’Embarcadère du savoir, lors d’une exposition intitulée “La science fait parler l’art”.
En voilà un défi ambitieux ! Grâce à l’archéométrie, la science a plus d’un tour dans son sac pour y parvenir. Comme le définit David Strivay, physicien et directeur actuel du CEA, « cette discipline scientifique met en œuvre des méthodes physiques ou chimiques pour l’étude et la mise en valeur des monuments, œuvres d’art et objets archéologiques ». Plus respectueuses, les techniques utilisées se veulent non destructives, c’est-à-dire « qu’elles ne nécessitent pas de prélèvement d’échantillons. » Il s’agit, par exemple, de l’analyse par faisceau d’ions ou moléculaire ou encore de la fluorescence X.
L’archéométrie a essentiellement deux finalités. La première est historique et tente de déterminer trois paramètres distincts de l’objet étudié : la technique de fabrication, la provenance et l’auteur. La composition définit quels types de matériaux ont été utilisés dans sa fabrication et est, comme le soulève David Strivay, « un repère du niveau technologique de la société ». La provenance atteste quant à elle du parcours de l’œuvre, du type de route commerciale suivie. « L’analyse de grenats de l’époque mérovingienne, trouvés à Grez-Doiceau, montre que ceux-ci proviennent pour une grande majorité d’Inde, explique le chercheur. La méthode de travail et de préparation des couleurs nous renseigne sur la conception d’un tableau par exemple et nous indique si celui-ci a été retouché ou si c’est un faux. » La seconde finalité de l’archéométrie concerne plus spécifiquement la conservation et la restauration. « Des restaurateurs font appel à nous pour déterminer la constitution de l’objet, commente David Strivay, car son état de conservation donne une piste pour sa restauration. »
Résolument interdisciplinaire, cette science est un point de contact entre expression artistique, connaissance technique et expertise scientifique. Trois points fondamentaux à la base d’une exposition.
Développée par l’Embarcadère du savoir et le CEA dans le cadre du pôle d’attraction universitaire “Nacho” (Non-destructive Analysis of Cultural Heritage Objects), l’exposition temporaire “La science fait parler l’art” s’adresse à un public non spécialisé. Elle tente, par l’analyse parallèle de deux peintures d’époques différentes, de montrer l’évolution des techniques picturales et des matériaux utilisés par les artistes peintres. Guirlandes de fleurs et de fruits avec la Sainte famille, de Jan Brueghel de Velours du XVIe siècle, et La Roche noire au soleil de Richard Heintz de 1916 ont été choisies parmi la collection du Musée de l’art wallon de la ville de Liège. Analysées sous toutes les coutures, leurs dissemblances ont été mises en évidence par diverses techniques d’imagerie et d’analyse non destructive.
Sur la peinture la plus récente, par exemple, plus de 30 points ont été analysés. Ils correspondent aux différentes couleurs présentes sur la toile telles que le blanc, le bleu, le vert et le brun (clairs ou foncés), le mauve et le jaune. Ces analyses ont permis d’établir les différents pigments utilisés. Conjointement, il a été démontré qu’un tube de couleur appartenant à l’artiste, dénommé “Blanc argent”, est quant à lui composé de zinc, un ingrédient typique des pigments synthétiques de l’époque. Derrière le visible, la toile. Des détails invisibles à l’œil nu sont révélés grâce à quelques techniques particulières. « Les macro-photos, par exemple, peuvent montrer certains détails et défauts, l’éclairage UV les repeints éventuels, les infrarouges le dessin préparatoire, commente David Strivay, l’image en lumière rasante permet de visualiser l’état de la surface, une radio X le support de la peinture. »
L’exposition veut être ludique avant tout. En prévoyant diverses activités, les organisateurs ont mis l’accent sur l’aspect interactif et placent le visiteur au centre de l’action. L’une des salles présentera un dispositif composé d’un référentiel de couleurs et de différentes sources d’éclairage – lumière blanche, néons, ampoules, ultraviolets, infrarouges – que les intéressés pourront actionner. Il montrera le changement de perception des couleurs lorsque la lumière d’éclairage varie. Des dispositifs expérimentaux seront aussi accessibles. Le visiteur pourra également voir la fabrication d’un pigment.
Organisée en collaboration avec la section restauration de l’Institut supérieur des arts Saint- Luc, la deuxième partie de l’exposition abordera les problématiques associées à la restauration des œuvres d’art. Des cas pratiques seront présentés, comme le problème de dégradation des pigments anciens ou les différentes techniques de restauration.
Enfin, « il était important d’apporter à l’exposition une dimension artistique », insiste David Strivay. La troisième partie présente, dès lors, une rétrospective des œuvres inédites d’artistes liégeois provenant d’une collection privée, témoins de la richesse culturelle de la ville. Non encore exposées en public, elles montrent le travail de peintres tels qu’Evariste Carpentier, Adrien Dupagne, Auguste Mambour ou encore Armand Rassenfosse.
Science et art, deux disciplines a priori si différentes et pourtant… L’artiste n’est finalement pas si éloigné du scientifique, lequel crée, qui une œuvre, qui un concept. « L’art et la science sont deux manières d’appréhender la réalité », constate le physicien. Véritable outil de recherche et de mesure, la science pousse l’art dans ses derniers retranchements et livre généreusement tous ses secrets.
Martha Regueiro
L’exposition se tient du 2 juillet au 11 novembre à l’Embarcadère du savoir, Institut de zoologie, quai Van Beneden 22, 4000 Liège. Ouverte de 9 à 17h pendant la semaine et de 10h30 à 18h le week-end, jours fériés et durant les vacances scolaires. Visites guidées organisées par Art&fact sur réservation au 04.366.56.04. Contacts : Embarcadère du savoir, tél. 04.366.96.50, courriel eds@ulg.ac.be, |
En écho à l’exposition “La science fait parler l’art”, deux autres expositions sont à épingler : “La dimension artistique ajoutée aux collections de sciences naturelles” et “L’art fait parler l’industrie”.
La première tente, à travers un éventail de gravures, de dessins, d’illustrations et d’objets design sur le thème de l’animal, de faire dialoguer art et sciences naturelles. A voir à l’Aquarium-Museum dès le 5 juin.
La seconde s’attaque aux répercussions artistiques qu’engendrent les révolutions industrielles. La Maison de la métallurgie et de l’industrie de Liège accueillera d’octobre 2008 à février 2009 un ensemble de photographies, d’aquarelles et de lithographies racontant l’industrie wallonne.
Contacts :
Aquarium-Museum, tél. 04.366.50.21
Maison de la métallurgie et de l’industrie de Liège,
tél. 04.342.65.63