Un tram à Liège en 2013 ? C’était le projet de Willy Demeyer et des autres élus de l’arrondissement de Liège. C’est à présent aussi l’ambition défendue par André Antoine, ministre wallon des Transports et de la Mobilité. Fin juillet, le gouvernement wallon a confié la gestion financière du dossier à la Sowalfin. La première ligne reliera Herstal à Jemeppe; dans un second temps une autre dorsale relierait Ans à Fléron. Le début des travaux est prévu pour 2011.
Réactions d’Yves Toussaint, expert en transports urbains et directeur de Green Propulsion et du Pr émérite Jean Englebert (faculté des Sciences appliquées).
Innovons !
Le 15e jour : Que pensez-vous du retour du tram à Liège ? Est-ce une bonne idée ?
Yves Toussaint : Construire un transport structurant “propre” à Liège est une bonne idée. L’objectif est de créer un axe prioritaire de haut débit et de réorganiser les lignes de bus perpendiculairement à cet axe devenu une sorte de colonne vertébrale des transports en commun de la ville. Cela suppose évidemment que l’axe choisi soit particulièrement prisé par la population. Est-ce bien le cas du tracé Herstal-Jemeppe ? Est-ce vraiment là que se situe le flux de véhicules le plus important ? J’imagine que cet itinéraire correspond à l’ancien tracé du tram liégeois mais ne suis pas certain qu’il soit toujours approprié. Le trajet Sart-Tilman – Citadelle serait, à mon avis, plus pertinent car la circulation y est beaucoup plus dense et cela risque de s’aggraver encore avec l’augmentation du nombre d’habitations et d’entreprises sur la colline du Sart-Tilman. D’autre part, je ne pense pas que le tram constitue la panacée en matière de transport. Des alternatives existent et cela vaudrait sans doute la peine que la ville de Liège s’y intéresse.
Le 15e jour : Des alternatives aussi écologiques que le tram ?
Y.T. : Oui. Le tram nécessite une infrastructure lourde et coûteuse (les médias parlent de 700 millions d’euros pour l’ensemble du projet) et mobilise un espace à son usage quasi exclusif. Rue des Guillemins, il faudra prévoir une bande de circulation pour le tram, une autre pour le bus, une troisième pour les voitures ! A mon sens il faut plutôt utiliser les technologies du XXIe siècle qui permettent à la fois de diminuer la production de CO2 et d’occuper l’espace de manière rationnelle et optimale.
Le trolley-bus “mixte” me paraît à cet égard très performant. Il s’agit d’un bus qui emprunte les routes et utilise de l’électricité à partir de caténaires aériens ou à partir de batteries qui se rechargent dès que les caténaires réapparaissent. Les avantages de la formule sont majeurs : structure légère sans gros travaux ni coût exorbitant et diminution de la pollution. J’insiste sur le fait que, même en tenant compte de la production d’énergie en amont, l’utilisation du trolley-bus diminue considérablement le rejet de CO2 dans l’atmosphère. Quant aux batteries, elles assurent une relative autonomie au trolley-bus dans des endroits où les caténaires seraient trop disgracieux ou particulièrement difficiles à installer : aux grands carrefours, sur les ponts ou place Saint-Lambert par exemple.
Le système “mixte” n’existe pas encore sur le marché mais Green Propulsion maîtrise la technologie des batteries. Favoriser un tel trolley-bus à Liège constituerait non seulement une première mondiale mais aussi une façon de valoriser le savoir-faire liégeois…
Soyons modernes !
Le 15e jour : Que pensez-vous du retour du tram à Liège ? Est-ce une bonne idée ?
Jean Englebert : Pas du tout ! Pourquoi installer un vieux système sur un tracé par ailleurs déjà bien desservi par le chemin de fer ? Cette décision va générer de nouveaux travaux dont les Liégeois se passeraient bien ! Je sais que le tram est redevenu à la mode. Plusieurs villes françaises comme Strasbourg, Nancy ou Montpellier en ont fait leur emblème contre la pollution. Mais l’invention du tram date du XIXe siècle. Quelles que soient les améliorations apportées, il ne résout pas tous les problèmes : il ne peut éviter les croisements, les accélérations ou ralentissements brutaux, l’alimentation aérienne. Je sais qu’à Bordeaux, les trams sont alimentés par un troisième rail, mais je sais aussi que son exploitation connaît des problèmes techniques fort difficiles à résoudre. Si nous voulons diminuer le recours à l’automobile, il faut faire en sorte que les conditions d’utilisation des transports en commun s’approchent de celles de la voiture individuelle ou, mieux, les surpassent. A mon sens, d’autres solutions sont possibles.
Le 15e jour : D’autres solutions aussi peu polluantes ?
Jean Englebert : Bien sûr. Pourquoi ne pas utiliser les rails du train pour y faire circuler des trams, plus petits, plus fréquents et peu chers ? Cela pourrait se faire sans entraîner de nouveaux travaux pénibles pour tout le monde, d’autant que la rive gauche et la rive droite de la Meuse sont équipées. Autre chose : ne serait-il pas urgent de faciliter le transport des habitants des communes avoisinantes qui se rendent chaque matin à Liège et en reviennent le soir ? Entre Fléron et Liège ou Nandrin et Liège pour ne prendre que deux exemples, il s’agit de véritables cohortes ! La mise en place de transports en commun performants y serait particulièrement utile. Autre idée dont on pourrait s’inspirer : au centre d’Amiens, les pouvoirs publics ont instauré des navettes de bus petits, confortables, fréquents (toutes les six minutes) et… gratuits.
Mais plusieurs pays se sont engagés dans une voie nouvelle. Au Japon, aux Etats-Unis et dans quelques villes françaises comme Lille, les autorités ont plébiscité depuis quelques années le mini-métro. Au sol, sous terre, ou dans les airs au besoin, le mini-métro a l’avantage d’être indépendant des autres formes de circulation. Tokyo, Nagoya ainsi que Dallas et Morgantown ont choisi ce nouveau mode de transport notamment pour relier entre eux les nouveaux centres urbains ou encore le campus à la ville. Je pense particulièrement qu’il serait assez simple de construire une liaison entre la gare des Guillemins et le Sart-Tilman. Celle-ci s’appuierait sur la partie non utilisée des piles du pont du Val-Benoît, grimperait au Sart-Tilman par-dessus la route du Condroz et redescendrait par Colonster pour suivre la voie ferrée de l’Ourthe jusqu’aux Guillemins. A Lille, ce nouveau mode de transport connaît un vrai succès. Pourquoi pas à Liège ?
Bulletin de l’asbl Science et culture, n° 413, mai-juin 2008, pp 65-101.